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  • : Au collège
  • : Je suis professeur d'histoire-géographie au collège Félix-Djerzinski de Staincy-en-France. Ce métier me rend malade et il fait ma fierté. Avant d'en changer, je dépose ici un modeste témoignage.
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14 juin 2008 6 14 /06 /juin /2008 18:21

Sixième. Contrôle sur l’Empire romain.

Frédéric, en haut de sa copie blanche : « je n’etai pas la ! je ne compren rien ! desolé de navoire pas recopier ma leçon sur un notre cahiér » Il sèche, se plante aux évaluations, ça le dégoûte, alors il sèche, etc.

 

Cite un grand bâtiment que l’on peut voir à Rome.

Anyssa : « Un grand bâtiment le theatre d’orange » J’ai accordé un demi-point à cette réponse. Ce n’est déjà pas si mal de savoir que le théâtre romain d’Orange existe. Après, le localiser, c’est plus compliqué.

 

Comment Rome empêche-t-elle les envahisseurs barbares d’entrer dans l’Empire ?

Hassa : « Rome empêche les envahisseurs par un trè rouge dans le manuel. » Le trait rouge en question représentait effectivement, sur la carte, le limes et notamment le mur d’Hadrien.

 

Comment s’appelait Paris à l’époque des Romains ?

Michaël : « elle s’appelait lucette. » J’annote : « Seulement pour les intimes ! » 

 

Quel nom Octave prend-il après être devenu empereur ?

Dilan : « Il prend le nom de roi. »

 

Que veut dire l’expression Mare nostrum ?

Dilan : « La Mare nostrum est notre mare. »

 

Comment appelle-t-on les Gaulois qui ont adopté les habitudes et le style de vie des Romains ?

Dilan : « On les appelle les républicains gaulois. »

 

Je recopie ici les perles, les réponses rigolotes, mais beaucoup de copies sont seulement ternes dans leur médiocrité. Très souvent, je me contente de souligner les quelques mots que l’élève a écrits : je n’y comprends rien, parce qu’il n’y a rien compris. Et je me pose deux questions. Petit un : qu'ont-ils retiré de mes cours ? Petit deux : que vont-ils faire des trois années de collège qu'il leur reste à purger ?
Dans cette classe de 24, trois groupes se distinguent très nettement. Quatre bons élèves comprennent tout et parviennent à restituer leurs connaissances par une expression écrite et orale claire. Neuf autres ont des difficultés de diverses natures qu’ils surmonteront s’ils travaillent. Onze enfin ont décroché et ne parviendront pas, selon moi, à rattraper leur retard. Ils continueront de nous subir, nous continuerons de les subir pendant encore au moins deux années. Dans ce groupe des élèves faibles, trois sous-ensembles peuvent être définis, qui correspondent à trois types de caractères. Certains ont décidé une bonne fois pour toutes que l’école, c’était de la merde, et ils agissent en conséquence. Il est difficile de déterminer si cette rébellion est la cause ou la conséquence de leur échec. D’autres, timides, polis ou apathiques, attendent simplement que ça se passe. On ne parle d’eux qu’au moment des conseils de classe. « Ah oui, Machin, c’est vrai, je l’avais presque oublié. Ben c’est pas brillant, hein. » Enfin, quelques élèves travaillent avec acharnement pour se mettre à niveau, alors que nous savons que leurs efforts sont vains. Ce cas est rare mais tragique. On ne sait pas trop quel discours tenir à ces courageux. Dans un meilleur système, on devrait pouvoir leur dire : « Bien, Kévin, nous professeurs avons bien réfléchi à tes problèmes, et nous en sommes arrivés à la conclusion que tu n’es pas fait pour une scolarité classique. Nous allons discuter avec tes parents et toi, déterminer tes points forts et essayer de t’orienter vers une classe qui te conviendra mieux. » C’est vrai, ils sont bien jeunes ; certains diront que les écarter du tronc commun, à douze ans, c’est leur retirer toute possibilité de rattrapage et donc de réussite. Mais les maintenir dans le tronc commun, c’est la garantie quasi-absolue de deux ou trois années supplémentaires d’ennui et de mauvaises notes, avec de gros risques que les choses dégénèrent au fil de l’adolescence, et à terme une orientation par défaut.

 

J’ai participé, avec deux autres collègues, à l’audition de candidats à une troisième en alternance. Cette classe propose comme son nom l’indique une formule mixte, quinze jours de classe étant toujours suivis de quinze jours de stage en entreprise. Comme il n’y a que dix-huit places disponibles, les volontaires doivent monter un dossier puis venir plaider leur cause devant une sorte de jury. Celui-ci vérifie leur sérieux, s’assure que toutes les pièces justificatives ont été rassemblées et émet un avis. C’est au final l’inspection d’académie qui décide des admissions, en repêchant notamment des candidats extérieurs à l’établissement.

Une douzaine d’élèves sont passés devant nous. A deux exceptions près, ils m’ont tous fait une excellente impression. Malgré d’énormes difficultés scolaires et un français parfois hésitant, ils avaient fait l’effort de rédiger des lettres de motivation où leur sincérité compensait largement les fautes d’orthographe et de grammaire. Ils faisaient une analyse très lucide de leur situation et nous expliquaient avec clarté leurs projets. Il ou elle voulait travailler dans un salon de coiffure, dans un atelier de mécanique automobile, dans une crèche, sur des chantiers de plomberie. La plupart avaient longuement mûri cette décision et avaient commencé à lui donner corps en aidant à l'occasion leur père ou leur oncle. Certains avaient fait de petits stages et en avaient ramené d’excellentes évaluations : ils s’étaient montrés assidus, ponctuels, efficaces dans les tâches qu’on leur avait confiées, et leurs employeurs se disaient prêts à les accueillir de nouveau. De toute évidence, cette orientation vers l’alternance n’était pas pour eux une solution de repli mais une véritable délivrance.

 

Une chose m’a particulièrement frappé au cours de ces entretiens, c’est l’importance des bulletins trimestriels dans l’examen des candidatures. Ils comportaient évidemment des moyennes catastrophiques, souvent lestées d’appréciation sévères ou compatissantes (« X fait ce qu’il peut, mais… »). Et les jeunes que nous avions en face de nous ne faisaient aucune difficulté pour le reconnaître : ils ne comprenaient pas les cours, qui pour cette raison ne les intéressaient pas -on peut, si on veut, inverser l’ordre de causalité dans cette phrase, le résultat reste le même. Pour être autorisés à entreprendre un apprentissage différent, ces élèves ont dû au préalable faire la preuve de leur échec total dans la filière classique. Pour pouvoir faire ce qu’ils veulent, ils ont dû subir depuis deux ou trois ans un enseignement qui ne leur convient pas (« C’est pas mon truc », a dit l’un d’eux avec beaucoup de justesse). N’est-ce pas absurde ? Etait-il vraiment impossible de prendre en compte un peu plus tôt le vœu, les aptitudes particulières, la personnalité de ces enfants ? Est-ce qu’il y a encore quelqu’un en France qui considère, comme on le faisait au moment où le collège unique a été créé, que tous les enfants doivent apprendre la même chose jusqu’à l’âge de quinze ou seize ans ? On pensait apparemment en 1975 qu’une grave injustice serait commise contre les enfants des pauvres si on les empêchait d’accéder à la culture académique. Aujourd’hui, c’est l’obligation d’acquérir ce savoir, même quand on ne le désire pas ou qu'on est incapable de l’assimiler, qui porte préjudice aux véritables intérêts des enfants des familles populaires. Que les plus doués intellectuellement soient promus par tous les moyens, je suis le premier à le réclamer. Mais il faut cesser de tenir pour indignes ceux qui veulent se soustraire à l’enseignement classique. Il vaut mieux former des coiffeuses et des mécaniciens épanouis que de les tirer par les cheveux vers le brevet et le bac en leur faisant ânonner des leçons qu’ils ne comprennent pas. Pour vivre ensemble, les jeunes Français n’ont pas besoin d’avoir les deux pieds cimentés dans je ne sais quel socle commun : il faut beaucoup plus simplement que chacun puisse trouver sa place, et je préfèrerais que mon fils soit un pâtissier heureux qu’un docteur en histoire au chômage.

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commentaires

L
"Mais les maintenir dans le tronc commun, c’est la garantie quasi-absolue de deux ou trois années supplémentaires d’ennui et de mauvaises notes"à nous de faire en sorte que le tronc commun ne soit pas forcément ennuyeux.Se séparer des élèves avec qui on n'arrive pas, c'est la solution de facilité.
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J
Le systeme scolaire me fait de plus en plus peur... Le but étant d'en amener le maximum possible au baccalauréat, par souci d' "égalité" (où ça... ?), on empêche les élèves de devenir ce qu'ils veulent. J'ai beaucoup aimé ton article, il reflète particulièrement bien la detresse de certains élèves. J'ai eu un ami, en troisième, dont le but était de devenir boulanger. Le CFA lui tendait les bras... Seulement, une chose l'a empêché d'y arriver : son bulletin scolaire. Ah, oui, il faut préciser que le jeune homme avait un grave défaut : 14 de moyenne générale, pas une seule moyenne en dessous de 10, un comportement très acceptable, les félicitations revenant régulièrement dans son bulletin trimestriel. Verdict : "trop doué pour faire boulanger, va en seconde générale, passe un bac S, va en prépa, puis vers une grande école, tu verras, c'est mieux..." Boum. Son rêve, depuis tout petit, était de devenir boulanger, il n'en a pas le droit, déclaré trop intelligent (oui, parce que maintenant, on mesure l'intelligence avec des notes. et on envoie les crétins finis en professionel). 15 ans, première désllusion sur l'éducation nationale. 2 ans après... J'ai encore des contacts avec lui, il ne vient presque plus en cours, le général ne l'interresse absolument pas. Et il regrette d'avoir fait des efforts, au collège, pour monter un bon dossier. Je vais m'arrêter là avant d'écrire tout un roman sur les absurdités du système scolaire =D Ce n'était qu'un exemple, m'enfin...
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H
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M
Voyons comment cela se passe au lycée ; à la fin de la 3ème, Kevin VEUT faire de la méca auto. Mais il est 1. trop jeune (les redoublants sont prioritaires) 2. trop bon, on le pousse vers la vois générale. A la fin de sa seconde, il VEUT toujours faire méca auto. Cette fois-ci, il est suffisamment faible, mais toujours motivé : ses chances augmentent...sauf qu'il est toujours trop jeune : et hop, il redouble sa seconde... en espérant qu'il conserve son calme et sa motivation encore un an, ce qui n'est pas sûr... Résultat : deux années perdues pour lui, et pour le contribuable d'ailleurs. Un élève de 2de coûte approximativement 8000 euros.
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D
Antoine & Akhela : je ne crois pas que Devine, qu'il me corrige si je me trompe, demande une ré-orientation professionnelle plus précoce. Je crois qu'il demande, c'est aussi l'un de mes voeux les plus chers, que chaque enfant soit guidé vers sa voie et reçoive l'aide et l'enseignement dont il a besoin.Pour votre mère dyslexique, Antoine, l'écarter vers une formation professionnelle était une réponse stupide à un handicap surmontable. L'école devrait pouvoir fournir une réponse personnalisée à chaque demande et non un choix binaire : apte à l'enseignement classique ou non. Les UPI sont un début de réponse, mais elles sont largement insuffisantes et ne doivent sous aucun prétexte servir de justification pour ne rien changer.Devine, c'est un peu hors-sujet, mais je repense souvent à cet élève qui voulait devenir pompier. Dans le lycée professionnel de mon fils, il y a un BEP métiers de la sécurité qui forme, entre autres, de futurs pompiers. Peut-être existe-t-il aussi un CAP où il pourrait s'épanouir ?
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