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  • : Au collège
  • : Je suis professeur d'histoire-géographie au collège Félix-Djerzinski de Staincy-en-France. Ce métier me rend malade et il fait ma fierté. Avant d'en changer, je dépose ici un modeste témoignage.
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18 novembre 2007 7 18 /11 /novembre /2007 22:09
images.jpg Jeudi, je sors de chez moi vers six heures et demie du matin, et je me mets en route vers la porte d'Orléans, à quarante minutes de marche. Le froid est vif. Sur les trottoirs, des ombres se dirigent par centaines vers le nord, à pied. C'est dans la nuit encore épaisse une vision de mauvais rêve : on dirait qu'une catastrophe vient d'avoir lieu quelque part en banlieue sud, que des envahisseurs hostiles refoulent la population indigène vers les murs de Paris.

Le reste du parcours est aussi pénible qu'on peut l'imaginer. Je me faufile dans le métro archiplein dès son terminus de départ ; je voyagerai debout jusqu'à l'autre extrémité de la ligne 4, à soixante-quinze minutes de là. Dès le troisième arrêt, les voyageurs à quai ne parviennent plus à monter dans la rame qui arrive bondée. Des coups, des insultes sont échangés ("Connasse ! Salope ! -Va dire ça à ta guenon.") Quelques malchanceux piquent des crises de rage. A gare de l'Est, j'entends une voix qui hurle et pleure presque, "Je dois travailler ! Je veux travailler !" On dit que les ennuis rapprochent ceux qui les affrontent ensemble ; c'est une généralisation douteuse.
Depuis la porte de Clignancourt, où je suis arrivé en échange de six mois de ma vie, il me reste une heure et demie de marche. Vers neuf heures du matin, je me perds au beau milieu d'une zone industrielle de Saint-Denis, avec à ma droite la silhouette colossale du stade de France qui plane comme un ovni sur les immeubles bas et vétustes. Des fresques commémorent çà et là les exploits de juillet 1998, dans un style qui rappelle l'art pariétal (en nettement moins bien). Après la promiscuité du métro me voilà absolument seul, à l'exception d'une femme hermétiquement voilée qui rase les murs à cent mètres de là. Cherchant à me repérer sur mon plan, je relève le nom de la voie : "Route de la révolte". Et je garantis, pour une fois, l'exactitude de ce toponyme.

En parcourant sur toute sa longueur une interminable avenue dionysienne, je me rends compte que, malgré mes efforts, je suis en train de manquer mon premier cours de la matinée. J'imagine mes élèves accueillant par des cris de joie le surveillant qui viendra officialiser mon absence. Pourquoi est-ce que je m'échine à aller au collège ? La réponse est très simple : comme le monsieur du métro, je veux travailler. J'aime travailler. Malgré tout ce que j'en écris ici, j'aime mon métier.

C'est en marchant droit devant moi malgré l'hostilité des évènements que me vient l'idée d'une manifestation que l'on pourrait appeler, pour faire court, la Teachers' pride (la dénomination complète étant "Marche des fiertés profes, profettes, bivalents et TZR"). Cette parade permettrait à tous ceux de mon espèce d'assumer leur différence à la face du monde, et de donner d'eux-mêmes une image festive qui n'est pas forcément celle qu'ils projettent habituellement. Juchés sur des chars en forme de photocopieuses géantes clignotant pour signaler d'inextricables bourrages papier, nous danserions comme des fous, déguisés en syndicaliste hardcore, en prof de SVT cuir, en pensionnaire d'internat catholique ou, pour les plus pervers, en Claude Allègre. Peut-être une partie de la population se plaindrait-elle de ces rassemblements, regrettant l'époque où nous faisions profil bas, où nous troquions honteusement confort contre mépris ; mais le mouvement enclenché serait irréversible, et plus jamais nous n'accepterions de retourner au fond du placard CAMIF. Bien au contraire, nous revendiquerions sans crainte l'égalité en tous domaines et le respect, y compris dans les territoires profophobes tels que les banlieues des grandes villes françaises.
Après la manif', nous nous retrouverions par petits groupes dans les bistrots environnants, en pouffant du regard irrité des autres consommateurs ; et autour d'un verre de smoothie, nous évoquerions les quelques expériences fondatrices qui ont fait de nous ce que nous sommes. Nous nous souviendrions du soir où nous avons avoué la vérité à nos parents, et de leur voix tremblante quand ils nous ont répondu : "Quoi ? Mais je croyais que tu voulais être analyste financier ? Je croyais que tu étais... normal ?" et nous nous rappellerions aussi de leur avoir répondu, sans relever leur ton insultant : "Je n'y peux rien, papa. C'est en moi depuis longtemps, maman. C'est... comment dire ? C'est une sorte de vocation." (Et ils pleurèrent. Mais plus tard, ayant beaucoup appris, ils nous demandèrent si nous avions quelqu'un, et quand nous comptions le leur présenter. Et nous leur présentâmes notre collègue Hervé, au cours d'une soirée dont les premières minutes furent emplis d'une tension électrique mais qui, le haut-médoc aidant, se termina dans les éclats de rire. Et encore plus tard les parents nous tirèrent une gueule pas possible quand ils se rendirent compte que nous avions demandé notre mutation -"je suis sûr que c'est de ta faute, si tout s'est terminé comme ça.")

Arrivé au collège éreinté par cette expédition, je commence sur le champ par ma classe de sixième. Le cours d'aujourd'hui doit être consacré à "l'éducation, un droit pour tous" (arrêté du 22 novembre 1995, Journal officiel du 30 novembre 1995). Je décide d'attaquer le cours de façon un peu atypique.
"Aujourd'hui, je voudrais vous parler de l'école. Je sais ce que vous pensez : vous auriez préféré que je ne sois pas là aujourd'hui. Souvent, vous vous dites : 'Ah ! qu'est-ce que ça serait bien s'il n'y avait pas d'école !' (Murmures approbatifs) Vous vous dites que l'école, c'est souvent très ennuyeux. Mais je voudrais qu'aujourd'hui, pour une fois, vous vous posiez la question suivante : 'Si l'école n'existait pas, si elle n'était pas obligatoire, que se passerait-il ? Que m'arriverait-il ?' Eh bien moi, je vous dis que ce n'est pas la peine de faire un grand effort d'imagination pour répondre à cette question, parce qu'on a déjà fait l'expérience autrefois. Autrefois, au XIXe siècle, les enfants n'allaient pas à l'école. Pas du tout. Vous m'entendez ? Pas une seule minute de leur enfance. Mais que faisaient-ils, alors ? Est-ce qu'ils passaient toutes leurs journées à jouer au foot ? Est-ce qu'ils jouaient du matin au soir ? Pas du tout. Ce qu'ils faisaient... eh bien ce n'est pas moi qui vais vous le dire, c'est un monsieur qui s'appelle Victor Hugo. Vous avez déjà entendu ce nom ? Oui, c'est vrai, c'est celui d'une école de Staincy. Et je trouve que c'est un beau nom pour une école. Victor Hugo était un très grand écrivain. Il a écrit des romans, des poèmes, des pièces de théâtre. Et sur quoi écrivait-il ? Eh bien il ouvrait les yeux, et il écrivait sur tout ce qu'il voyait dans le monde. Il vivait au XIXe siècle. Et l'une des choses qu'il voyait, c'était la façon dont on traitait les enfants, les enfants qui n'allaient pas à l'école. Il a écrit ce poème à propos d'eux. Ça s'appelle Melancholia."
Et je leur lis, en essayant de mettre le ton.

Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?
Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?
Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?
Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ;
Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison le même mouvement.
Accroupis sous les dents d'une machine sombre,
Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre,
Innocents dans un bagne, anges dans un enfer,
Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.
Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.
Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.
Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.
Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !


Silence total. Je me suis ému en lisant. Je mets un certain temps à relever le nez de ma feuille. Le silence se prolonge. En les regardant, je crois qu'ils ont compris.
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14 novembre 2007 3 14 /11 /novembre /2007 17:33

Le-sida-est-l--.jpeg.JPG

Question : Que tiennent les deux personnages ? Expliquez le message de l'affiche.

Réponse de Jonas (5e) : "Les deux personnages tiennent une boîte de cigarette chacun. Il explique qu'il faut impérativement arreiter de fumer, sa donne le sida."

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14 novembre 2007 3 14 /11 /novembre /2007 10:33
Martine-et-les-gr--vistes.jpg

Même source que la dernière fois...
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13 novembre 2007 2 13 /11 /novembre /2007 18:42
Tyrannosaure.jpg5 h 15. Je me lève.
5 h 20. Le chroniqueur boursier de France-Info est heureux de la fermeté du CAC. Le Président serait apparu simultanément à Paris, Washington, Le Guilvinec, N'Djamena, Lourdes et Fatima. Le baril va atteindre la barre symbolique des 100 $, et je me réjouis de ne pas avoir de voiture. Une énorme grève est à prévoir à partir du 14 novembre, et je regrette de ne pas avoir de voiture.  
6 h 20. Shiver de Coldplay. C'est beau. Brume sur la banlieue.
7 h 25. J'envisage la journée avec sérénité et optimisme.
7 h 30. Je rencontre deux collègues en sortant du métro. Ils ont tous deux passé les vacances chez leurs parents, à Châteaurenard, Bouches-du-Rhône. Ils sont souriants, hâlés et détendus. Ma bonne humeur se voile d'un léger agacement. Mes parents vivent dans le Pas-de-Calais.
7 h 35. Dans la salle des photocopieuses, une demie-douzaine d'enseignants sont penchés comme des chirurgiens incompétents sur le ventre grand ouvert de la machine. Ma bonne humeur décède.
"Comment, comment, mais comment ai-je pu être ssssssssssstupide au point de croire que cette saloperie allait marcher ! Ah ! ça vaut le coup de se lever une demie-heure plus tôt !"
Tel un ange envoyé par la Providence céleste, mon collègue Albert arrive alors, et par une suite d'effleurements de ses blanches et souples mains, tire la machine du coma. Clameurs, hourras. La photocopieuse repart.
Puis s'arrête.
Plus de papier.
L'intendance est fermée à clé.
Il reste sept minutes avant la sonnerie.



8 h 15. La note obtenue (06/20) ne satisfait pas Youssef.
"Jamais vous mettez des bonnes notes, vous ! L'an dernier, avec M. Ibarra, j'avais 13 de moyenne !
-Youssef, c'est très bien que tu sois mécontent de ta note, parce que ça montre que tu as envie de progresser. Tu veux savoir pourquoi tu as de moins bonnes notes que l'an dernier ? Parce que c'est plus dur, voilà tout. Ce serait insultant qu'on vous donne les mêmes exercices tous les ans, tu ne trouves pas ? Alors voilà, le but du jeu, c'est pas d'avoir des bonnes notes tout de suite, c'est de s'améliorer. Et je suis sûr que tu en es capable."
Contre toute attente, Youssef, flatté par ce discours, hoche la tête et se met à lire mes annotations sur sa copie. Petite victoire.
8 h 25. Au cours du devoir d'éducation civique, j'avais posé, à partir d'un cas concret, une question du genre : "Peut-on justifier des insultes racistes par le principe de la liberté d'expression ?" Je reconnais que la question était un peu compliquée, mais j'avais donné la réponse la veille. "Il y a des limites à la liberté ; c'est la loi qui fixe ces limites ; de façon générale, on n'a pas le droit de faire ce qui nuit à autrui." La plupart, et même à vrai dire la totalité des élèves, ont pourtant donné une réponse du type : "Les insultes racistes, ça se fait pas." Je leur avais expliqué qu'il valait mieux se fier à la loi qu'à la morale, parce que la loi est écrite et qu'elle est la même pour tout le monde. Ils avaient hoché la tête, apparemment convaincus. Et ce matin encore, ils acquiescent. Mais si je leur reposais la question demain, je suis persuadé qu'ils continueraient de suivre leur intuition morale plutôt que mon raisonnement légaliste. Tant pis ? Tant mieux ?
8 h 40. Je ramasse les devoirs à la maison. Comme c'était prévisible, Camélia n'a pas fait le sien.
"Ben non msieu, jsuis pas rentrée chez moi, hein. Comment vous voulez que je fasse vot' travail."
On m'a dit avant les vacances qu'elle avait manqué un ou deux jours de classe à cause de la mort de sa grand mère. Et je crois avoir deviné que sa vie familiale n'est pas des plus faciles en ce moment. Mais rien n'a changé dans son comportement : elle bavarde, ricane et paresse insolemment. Peut-être est-elle malheureuse sans le montrer. Peut-être est-elle si bien habituée à une vie rude que le deuil d'un proche n'apporte qu'une nuance à son marasme. Ou peut-être est-elle trop bête pour connaître la tristesse.
Je choisis la facilité en la dispensant a posteriori de ce travail.  
8 h 55. A la sonnerie, je sors dans le couloir. Une voix m'interpelle : "Eh l'blond ! Eh poils de carotte ! Eh l'sale blond !" Je me retourne et l'insulteur détale avant que je puisse voir son visage. Peut-on justifier, etc.



10 h 10. C'est au tour de Dilan de se montrer mécontente de sa note (et il y a de quoi, puisqu'elle a 02,5/20). Je me justifie : "Si je t'ai donné cette note, c'est parce que je pense que tu la mérites. C'est tout. Ne va pas croire que tu es ma tête de Turc."
Horreur ! J'ai oublié une fraction de seconde que Dilan est kurde, comme le rappelle pourtant le petit poignard qu'elle porte en pendentif. Elle fronce les sourcils, qu'elle a épais. Mes explications ne la convainquent pas.



11 h. Marius arrive à mon cours en pleurant.
11 h 50. Les 4° F s'appliquent sur leur contrôle d'éducation civique. En ce jour de rentrée, tous les élèves essaient de faire un effort. Je savoure ces instants de silence et de relative tranquillité. Je vois bien, cependant, que la correction sera un moment difficile. Seuls 6 élèves sur 22 ont su répondre à la question suivante : "La Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen a été proclamée en 1789. D'après tes connaissances, que s'est-il passé d'important cette année-là ?"
12 h. Marius vient spontanément m'expliquer la raison de ses larmes. "Mdame Mondésy jbjbsjqjhcoheon trop injuste avec moi jj likh moijùoj rien fait lkdjhhhjkjvll i hjh puni heipofkj skn udngùj pas ma faute hzdilu ghihop snif." Je lui dis que je verrai avec ma collègue. Il ne s'aperçoit pas, heureusement, que je n'ai rien compris à son histoire.



12 h 15. Je mange avec un lance-pierre. La conversation de mes collègues est pauvre, et la mienne est au diapason.
12 h 40. Cindy-Lou est accompagnée par sa mère. Avant les vacances de la Toussaint, elle a piqué à quelques jours d'intervalle trois crises d'hystérie parce que des professeurs lui avaient fait des remarques déplaisantes. La dernière fois, elle a renversé tables et chaises dans la salle de classe et hurlé comme une possédée. Confrontée au CPE, à son professeur principal (moi) et à l'une des victimes de sa fureur, elle se défend crânement. "Quand j'ai tort, j'ai tort. Quand j'ai raison, j'ai raison. J'ai pas voulu m'excuser parce que j'avais pas tort. J'aime pas qu'on soit injuste avec moi." La maman est une maîtresse femme ; elle  regrette sans doute le scandale causé par sa fille, mais il est certain que c'est elle qui lui a enseigné la fierté.
L'entretien menace de dégénérer en conflit frontal et je décide de tenter une autre stratégie. "Cindy-Lou, je crois que tu es une personne très orgueilleuse, et ce n'est pas moi qui te le reprocherai. C'est très bien, d'avoir de l'amour-propre. Mais il y a une grosse différence entre l'amour-propre et la bêtise. Et ce que tu as fait avec trois de tes professeurs, excuse-moi, mais c'est de la bêtise pure et simple. Si tu continues comme ça, ta voie est toute tracée : c'est le conseil de discipline avant la fin de l'année. Et je détesterai qu'on en vienne là, parce que tu es tout sauf une fille méchante."
Elle s'attendait sans doute à une engueulade en bonne et due forme et le fait que je lui tende la main la fait craquer. Elle se met à pleurer. Ses dernières résistances cèdent et elle finit par nous avouer qu'elle est sur les nerfs parce qu'un autre élève de la classe la harcèle (il s'agit de Naoufel, dont il a déjà été question ici). Il la "plante", c'est à dire qu'à la première occasion il la pique avec des mines de crayon et d'autres objets pointus. On promet de mener l'enquête. Elle se mouche. Apparemment, le soulagement d'avoir parlé est supérieur à la crainte de passer pour une balance. L'entretien a été fructueux.
A-t-elle dit la vérité ? C'est une autre histoire.
13 h 10. La photocopieuse fonctionne. Je me signe discrètement en terminant ma dernière série d'A4 recto-verso.
13 h 15. Une pétition est scotchée au tableau de la salle des profs. Le principal se serait comporté en brute vis-à-vis d'une de nos collègues. Il lui aurait interdit au dernier moment d'accompagner une sortie scolaire prévue de longue date, l'aurait rabaissée devant ses élèves et, comble de mesquinerie, lui aurait reproché ses nombreuses absences, alors qu'elles sont dues au fait qu'elle soigne un cancer. L'accusé a collé en addendum un petit billet où il regrette qu'il se trouve des naïfs pour signer ce genre de texte unilatéral. Qui dit la vérité ? Décidément, aujourd'hui, il n'y a aucune certitude possible.
13 h 20. Dans mon casier, invitation à visiter, au musée de l'Histoire vivante de Montreuil, l'exposition "Hô Chi Minh à Paris". Et un rapport (le professeur principal reçoit toujours un double des rapports rédigés au sujet de la classe qu'il gère).



13 h 30. C'est, de nouveau, la 4° F. Je décide de battre le fer tant qu'il est chaud.
"Mes amis, voici ce que j'ai trouvé à l'instant dans mon casier. C'est de votre professeur de français. (Clameur : encore lui !) Je vous lis :
Encore une fois un cours très pénible.
Agit et Naoufel arrivent en retard. Naoufel et Agit n'ont pas fait le travail demandé pendant les vacances. Agit, pendant toute l'heure, ne cessera de poser des questions à tort et à travers, faisant des réflexions à voix haute quand je l'ignore et refuse de lui répondre. Se montre insolent et très perturbateur.
Naoufel n'a ni cahier, ni feuille et refuse de prendre le cours en note. Lui aussi très perturbateur.
Le reste de la classe agité : Gloire, Samira, Ionut.
Je ne réponds plus de rien concernant ma résistance à Agit
."
Ils n'ont rien fait. Ils me disent que le cours de M. Bonhomme est "l'un de ceux où ils sont le plus calme." Agit avoue qu'il n'a pas fait ses devoirs, mais il pense avoir essayé de participer au cours comme un bon élève. D'après eux, le fond du problème est que M. Bonhomme ne les aime pas.
Révolté d'être cité dans le rapport, Ionut pleure.
14 h 10. "Moi. -Bon, allez, j'en ai marre de votre bonne conscience inébranlable. Levez-vous, on va faire la photo de classe.
Agit. -Oh, msieu, jvous en supplie, laissez-moi passer aux toilettes me remettre du gel.
Moi. -Ah non Agit, je suis d'accord avec ta mère, y'en a marre de cette crête ridicule."
En arrivant à la salle où la photo doit être prise, je m'aperçois qu'un gros flacon de gel circule de main en main. Je confisque, mais le mal est fait : les crêtes sont de retour.
C'est tout de même avec un vrai plaisir et même, pourquoi ne pas le dire, avec une certaine fierté que je pose au milieu d'eux. Après tout, est-ce qu'ils ne sont pas aussi un peu mes enfants ? Non, bien sûr que non.



14 h 35. Au tout début du cours, je fais noter aux élèves de sixième le message suivant, destiné à leurs parents :
Madame, Monsieur,
En raison de la grève dans les transports en commun, la sortie prévue au Louvre le jeudi 15 novembre est annulée. J'en suis désolé.

Pleins d'espoir, ils me demandent : "Et vous, Monsieur, vous serez là ?"
14 h 55. Au premier rang de la classe, Ganeshkumar aide Mamoutou à faire ses exercices. Le second vient de l'UPI, il est débile léger ; le premier est l'un des meilleurs élèves que j'aie jamais eu. En jouant le rôle de professeur auxiliaire, Ganeshkumar évite de trop s'ennuyer pendant mes cours, qui sont pour lui d'une facilité lamentable. Il faudra tout de même que je lui parle pour le dissuader de s'orienter vers les métiers de l'enseignement.



15 h 40. Cinquième. Je voudrais bien éviter d'exclure Alberto de mon cours, pour une fois. Ça ne va pas être évident : il est entré dans la classe en dansant la tecktonik. Pendant que les autres planchent sur l'histoire de Mahomet, je m'assois à son côté. Il est de toute évidence heureux que je ne m'occupe que de lui. Il essaie de répondre aux questions. Sa bonne volonté est touchante. Mais je ne me suis pas éloigné de lui depuis dix minutes, qu'il recommence son numéro.
16 h 05. "Où se trouve la première résidence du calife ?
-A Adams" répond Chafika.
16 h 15. Fasciné par mes nouvelles chaussures, Jude a perdu le fil du cours depuis dix bonnes minutes. Je le rappelle à la réalité. Sa réponse : "Mme Galy, elle a les mêmes, mais avec un bout pointu."



16 h 35. Fin de mon dernier cours.
17 h 10. En ayant fini avec la paperasse, les coups de téléphone, etc, je quitte enfin l'établissement.
17 h 15. Garbage : The trick is to keep breathing.
18 h 25. Je suis de retour chez moi. Mon fils me saute dessus. "Papa, papa, eh papa, on fait une bataille de dinosaures ?
-Je peux avoir un bisou d'abord ?
-Eh, regarde, le tyrannosaure il arrache un énorme morceau de chair du stégosaure avec ses grandes dents pointues, rrrrrrh.
-C'est tout à fait ce que je ressens."
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10 novembre 2007 6 10 /11 /novembre /2007 18:37
J'ai lu cet article sur le blog Everybody's weird. Il m'a fait monter les larmes aux yeux. Avec la permission de son auteur, je le cite en totalité.



Ma grand-mère paternelle venait du Béarn, cette province où les villages sont des pays et où le soleil rasant de fin d'après-midi accroche la lumière des contreforts pyrénéens comme dans un de ces tableaux inépuisables de la Renaissance Flamande.

Elle était institutrice ; mon grand-père l'aurait courtisée sur les routes de l'exode de 1940. Après la guerre, on lui assignait une école primaire dans cette Normandie étrange de plaines fertiles. Elle y enseigna de longues années, avant de revenir terminer sa carrière chez elle, dans ce hameau où son mari la suivit, construisit de ses propres mains la maison où bien plus tard elle mourut, et eut l'étonnant courage (...) de changer complètement de métier pour devenir le premier et le seul artisan taxi/ambulancier à trente kilomètres à la ronde. Son "affaire" existe encore aujourd'hui.

Cette lettre de 1952, adressée à ma grand-mère, est restée encadrée et accrochée en évidence dans le salon durant les dix ou quinze dernières années. J'ignore si elle a tout le temps été là, ou si on l'a retrouvée au sein de quelque dossier d'archives après son décès. Malgré sa pomposité maladroite et datée, c'est un texte qui me paraît touchant, le reflet fidèle d'une certaine image (perdue ?) de la France et de l'école publique. Surtout, elle me paraît belle, de cette beauté inégalable qu'ont les sentiments humains profonds.

(Ici, il y avait une superbe photo de la lettre en question, prise dans son cadre de bois à la lumière du couchant. Elle s'est curieusement effacée au fil du temps : d'abord visible en grand format, elle s'est ensuite affichée par intermittence, avant de disparaître d'ici, et de son site originel. Je n'ai pas compris pourquoi. Le texte, lui, est heureusement resté.)

R**, le 13-0[?]-[19]52

Chère Madame,

Je viens vous remercier pour le dévouement que vous avez eu à mon égard les années où j'ai fréquenté votre classe. Je sais que je vous ai fait bien souvent la tâche difficile car je ne suis une enfant (sic) et je n'ai pas toujours répondu au désir que vous aviez de me voir travailler de façon appliquée et soutenue. Je vous demande de bien vouloir oublier tout cela pour ne plus penser comme moi, qu'au couronnement de vos efforts.

J'ai subi avec succès les épreuves du concours et je tiens à vous dire merci de tout coeur à vous qui avez été l'artisan de cette réussite. Merci de ma part et merci de la part de mes parents qui vous avaient confié tous leurs espoirs. Je serais très heureuse si vous acceptiez ce cadeau en souvenir de [moi?]. Je souhaite que d'autres élèves viennent à leur tour chaque année vous apporter ce même gage de leur reconnaissance afin que votre carrière se continue aussi brillante.

Pour terminer cet aimable entretien permettez, Madame, que je vous embrasse de tout coeur en vous [réitérant ?] mes remerciements et mes sentiments les plus respectueux.

Votre élève, X.
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8 novembre 2007 4 08 /11 /novembre /2007 23:18
En-col--re.jpgUn mouvement de protestation monte dans plusieurs Universités françaises. Ce n'est pas directement lié au thème annoncé par le titre de ce blog ; mais ce n'est pas, non plus, complètement étranger, et c'est un sujet qui me tient à coeur. J'ai en effet enseigné quatre ans en fac d'histoire, tout en y étant inscrit comme doctorant ; ce double titre me permettait d'avoir des échanges avec les étudiants comme avec les professeurs (même si les premiers me craignaient et que la plupart des seconds ne m'accordaient aucune importance). J'ai ainsi assisté des premières loges à plusieurs périodes d'agitation estudiantine.

Ces expériences m'ont édifié. Pour ceux qui n'auraient pas eu la chance de vivre de l'intérieur un "mouvement étudiant", voici la chronologie quasiment intangible des faits.

1) Un groupuscule de jeunes gens très idéologisés déterre la hache de guerre pour une raison quelconque. Il s'agit notamment des syndicalistes UNEF, mais ceux-ci étant en général très peu nombreux accueillent bien volontiers l'enthousiasme combatif de militants LCR, anars, altermondialistes, etc. Les seconds ne tarderont d'ailleurs pas à déborder les premiers qui, ironie de l'histoire, se feront in fine traiter de dégonflés par les irréductibles guérilléros rouges et noirs.
Les étudiants mécontents affirment immanquablement que leur révolte est due à des motifs très graves : il s'agit de défendre le modèle français d'enseignement supérieur, d'éloigner de l'Université la convoitise des puissances d'argent, de préserver le principe d'égalité, de sauver la démocratie en danger, etc. Il m'a toujours semblé, cependant, que les mouvements étudiants obéissaient simplement à un réflexe pavlovien d'opposition au pouvoir. Je suis convaincu que si demain, un gouvernement de droite imposait que les présidents d'Université revêtent une toge en poils de lapin lors des réunions plénières, il se trouverait des gens pour crier que non ! pas ça ! pas la toge ! les poils de lapin, c'est le retour de la Bête Immonde ! Et la lutte de s'organiser.
On croit souvent que les étudiants sont manipulés de l'extérieur. En réalité, les étudiants se manipulent tout seuls, en se gavant de grands mots et en s'essayant vainement à rejouer Mai 68.

2) Ce petit groupe tente dans un premier temps de recruter et de convaincre par des moyens classiques : tractage, réunions publiques, affichage, etc. C'est l'ordinaire médiocre du travail politique, dont ne saurait se contenter la jeunesse impétueuse. Aussi cette dernière, constatant qu'elle ne parvient aucunement à ébranler l'apathie de la majorité des étudiants, passe à la phase

3), qui consiste à durcir le mouvement pour décider les indécis et donner un écho médiatique à un mouvement encore microscopique. On convoque donc des AG où l'on rassemble, en rameutant le ban et l'arrière-ban, quelques centaines de personnes sur les 10 ou 15.000 que peut compter la fac.
Il faut d'ailleurs remarquer, sur un plan général, que les agitateurs présentent un profil très particulier.
*Ce sont des enfants des classes moyennes (les rejetons de la bourgeoisie regardent tout ce cirque avec un dédain bien fondé, et les méritocrates issus des quartiers pauvres préfèrent travailler que de discutailler ad nauseam).
*Ils vivent intensément un premier engagement politique et/ou syndical (ce qui les place en porte-à-faux avec l'immense majorité de leurs camarades, qui sont très atones sur ce point).
*Ils sont inscrits en lettres et sciences humaines : les facs de droit, de science ou de technologie ne participent quasiment jamais à ce genre de mouvement. Pourquoi tant d'agitation chez les sociologues et les historiens ? Pour plusieurs raisons. Leurs professeurs sont souvent très à gauche et ne se privent pas de le laisser transparaître dans leurs cours. Le travail et l'investissement des étudiants est souvent moindre, avec, aux partiels, un taux d'échec ou d'absence absolument hallucinant -et ce dilettantisme les rend disponibles pour d'autres activités. Enfin, les principaux, pour ne pas dire les seuls débouchés de ces filières se situent dans la fonction publique, ce qui induit, chez ceux qui les suivent, une mentalité spéciale (pas forcément méprisable, mais spéciale).

4) L'AG ! Ce grand cénacle bouillonnant ! Ô glorieuse AG ! Toi que les "étudiant-e-s en lutte" invoquent à tout bout de champ comme une bouleversante expérience de démocratie directe.
L'AG est une assemblée où un bureau auto-proclamé décrète l'ordre du jour à sa discrétion, donne la parole à qui lui plaît, et n'admet d'autre vote qu'à mains levées. C'est un soviet. Elle décide bien entendu à une écrasante majorité que, face à la surdité du gouvernement, le durcissement de la lutte s'impose comme une triste fatalité. Les "grévistes" (je place l'expression entre guillemets parce qu'elle me paraît relever de la plus parfaite absurdité, s'agissant d'étudiants) se sentent déliés de toute espèce de scrupule par ce vote démocratique : ils n'ont "pas le choix".
Aussi vont-ils recourir à une violence de basse intensité, qui suffit généralement à perturber le bon fonctionnement des cours. Il suffit de mettre un peu de colle forte dans les serrures des salles de classe et d'établir quelques barrages filtrants à l'entrée des bâtiments. Un autre procédé très efficace consiste à chaparder toutes les chaises et à les stocker dans un amphi, où elles resteront sous bonne garde. Les professeurs répugnant à faire leurs cours debout ou assis par terre, les reporteront sine die. Personnellement, je me rappelle avoir réussi à maintenir mes TD dans une Université presque entièrement occupée ; j'accueillais la douzaine d'élèves qui avait le courage de braver les piquets de grève dans mon minuscule bureau. C'était très inconfortable mais nous étions fiers et heureux de nous retrouver dans ce contexte. Un excellent souvenir.

5) C'est une triste loi de la vie démocratique : les gueulards irresponsables se font toujours mieux entendre que les personnes modérées et de bon sens, du moins dans un premier temps. Cette règle s'applique à la puissance dix en milieu universitaire. Les étudiants paisibles se sentent souvent humiliés par la surexposition médiatique de zozos qui ne les représentent en rien, mais ils baissent la tête et se taisent ; beaucoup d'autres décident de prendre leur parti des évènements en s'octroyant quelques journées de repos bien méritées. "Le mouvement s'étend", titre alors la presse, qui croit pouvoir y déceler une vive hostilité aux projets du ministre.
Un cours est annulé, puis trois, puis dix. Les enseignants sont trop divisés pour prendre une position commune face au chaos croissant. Certains sont exaspérés mais impuissants ; ceux qui ont le courage de dire tout le mal qu'ils pensent de ces pitreries sont conspués - et c'est un spectacle vraiment navrant que de voir l'autorité intellectuelle de ces vieux savants tournée en dérision par des coquelets d'une ignorance crasse. D'autres enseignants, d'ailleurs, sont complices des "grévistes" ; et presque tous se réjouissent au bout du compte de voir annuler des cours de premier cycle qui sont pour eux autant de corvées. Voilà du temps gagné pour leurs recherches personnelles.
Le président de l'Université, quelle que soit son expérience de ce genre de situation, commence quant à lui à s'inquiéter ; mais il n'ira jamais, au grand jamais, jusqu'à solliciter l'intervention des forces de l'ordre pour dégager les insurgés à la mie de pain. Car il a bien souvent la coupable faiblesse de "comprendre" ces étudiants.

6) L'impunité totale donne des ailes à la minorité agissante. Des émissaires viennent prêcher la bonne parole dans les cours maintenus, invitant leurs camarades à les rejoindre, et qualifiant de jaunes ceux qui s'y refusent. La fac est bientôt occupée. Les AG s'y multiplient et durent très tard ; on y refait le monde, on y vote des motions sur tous les sujets de la Terre. Ceux qui dorment dans les locaux pour "monter la garde" boivent, fument, baisent. Ils vivent une expérience dont ils se souviendront toute leur vie avec tendresse. Ils sont si jeunes qu'on voit encore du lait sur leurs frimousses ; et ils vivent une grande aventure : jouer à la révolution, c'est tellement plus rigolo que d'user ses fonds de culotte à la BU ! Bref, c'est un rite de passage d'autant plus indispensable qu'il n'y a pas de bizutages dans les facs de lettres.  
A ce stade, les rebelles ont complètement oublié contre quoi ils se battent, mais sont d'autant plus intransigeants. "On ne lâchera rien !" Portées par cette ambiance romantique, de nouvelles recrues se manifestent -sans permettre toutefois aux "grévistes" actifs d'atteindre 1 % des étudiants inscrits.
Parallèlement, les plus radicaux commencent à vandaliser les locaux et invitent des "amis" (SDF, marginaux, délinquants) à les y rejoindre. Dans la faculté où j'enseignais, des artistes anonymes avaient trouvé le moyen de coller des tables et des chaises sur les murs et les plafonds des trois grands amphis. Plusieurs millions d'euros de dégâts au total.

7) Trois ou quatre semaines passent ainsi. Informée par rumeurs de ce qui se passe dans les locaux occupés, la présidence de l'Université se fait de plus en plus de cheveux blancs. Les étudiants neutres commencent à gronder en pensant à leurs partiels : ils n'en ont rien à foutre, de tout ça, ils ne veulent tout simplement pas perdre leur année. Qu'on les laisse travailler un minimum. -Quant aux étudiants hostiles, ils n'hésitent plus à l'ouvrir.
Pour contrer cette vague d'hostilité croissante, les mutins ont recours à des procédés vieux comme le monde. Les voix discordantes qui s'expriment dans les AG sont couvertes par les huées ; la proposition de recourir à un vote A BULLETINS SECRETS pour décider de la poursuite du mouvement est dédaigneusement rejetée. Ne pouvant plus argumenter sur le caractère démocratique de leur mouvement, les "grévistes" se placent sur le terrain des principes : ils sont peut-être minoritaires, mais ils défendent l'intérêt de tous, de façon héroïque et quasiment sacrificielle. Ils planent à des altitudes inatteignables.

8) Le gouvernement lâche alors trois grains de lest, en présentant ce geste comme une concession majeure (on abandonne les poils de lapin, remplacés par des poils de loutre). Les "grévistes" ne sont pas dupes, mais beaucoup sont fatigués par des semaines d'activisme, et commencent eux aussi à avoir peur de se planter aux examens. Le groupe des motivés se scinde, non sans un échange de mots aigres.

9) Les jusqu'au-boutistes tentent un baroud d'honneur, qui échoue comme de juste mais qui leur laisse la conscience tranquille. L'une des fonctions essentielles de la grève a été atteinte, avec le recrutement d'une nouvelle génération de combattants. La frustration qu'ils éprouvent commence à fermenter en eux : c'est ce qui leur donnera l'énergie nécessaire, l'année suivante, pour reprendre tout ce barnum à partir du point 1).

En attendant la prochaine crise d'épilepsie, l'Université somnolera dans sa médiocrité. 


C'est on ne peut plus clair : l'Université française n'a pas besoin de nouvelles sources de financement.
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5 novembre 2007 1 05 /11 /novembre /2007 00:20
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Toro.jpg
Cette belle image est de Yoann Grange ; vous pouvez voir l'original ici.


Pièce 1 (Imprimé sur une feuille de couleur jaune).

A Staincy-en-France, le mercredi 27 septembre 2006.

Objet : nouvel élève en 5° G [classe dont j'étais le professeur principal].

Monsieur DEVINE,

Un nouvel élève provenant du collège Leonid-Brejnev (Ranceville) intègrera les cours de la 5° G à compter du jeudi 28 septembre à 7 h 55. Il s'appelle Mohamed S.

Merci de bien vouloir l'accueillir dans les meilleures dispositions. Il est issu d'un conseil de discipline qui a eu lieu en avril 2006 et n'a pas été scolarisé depuis. La situation familiale est complexe : il est délaissé par la maman. Sa tante par contre s'occupe bien de lui.
Pour de plus amples informations, n'hésitez pas à venir me voir dans mon bureau.

Bon courage et merci de votre collaboration et de votre compréhension.

Le Principal Adjoint.



Pièce 2. Rapport d'incident rédigé par la professeure de français.

Nom de l'élève : Mohamed S., 5° G.
Date de l'incident : mardi 3 octobre, 9 h.

Description de l'incident :
Après un deuxième rappel à l'ordre oral, j'ai demandé à l'élève de se taire : il a commencé à se montrer insolent et se moquer ouvertement de moi. J'ai alors voulu le déplacer, pour qu'il soit à côté d'une des rares élèves calmes -cette classe étant par ailleurs indisciplinée au possible ; il a refusé tout net ("non, je m'en fous", "je fais ce que je veux"). De la même manière, il a refusé de sortir ses affaires (au moins une trousse !), d'ôter sa casquette, de cesser de parler (à voix haute, évidemment) et de me donner son carnet. J'ai voulu alors l'exclure de cours : il a refusé de sortir, et a commencé à tout commenter, mes décisions, mon autorité, de manière extrêmement désobligeante. C'est uniquement lorsque j'ai envoyé un élève chercher la CPE  qu'il a accepté de me donner son carnet... Après l'intervention de la CPE, je lui ai donné une retenue pour son comportement. Il a répliqué "De toute façon, je m'en fous". Il n'a cessé de répondre avec grossièreté et insolence, et de me défier. Exemple : je distribue les feuilles d'exercices à faire pour le lendemain, il les déchire délibérément, sous mes yeux, à deux reprises ! Je refuse de l'accepter en cours dans ces conditions ! A cause de lui (les autres en profitant, bien évidemment) 1 heure = 1 exercice corrigé ! Je demande une sanction à la hauteur des évènements inhérents à ce cours, en prenant compte de la rupture du contrat de réinsertion scolaire de cet élève.


Pièce 3. Rapport d'incident rédigé par la professeure d'arts plastiques.

Nom de l'élève : Mohamed S. 5° G.
Date de l'incident : 5 octobre.

Description de l'incident :
Mohamed S. est arrivé en retard casquette sur la tête. Il a déambulé tout doucement dans la salle le caleçon bien visible puisque son jean était bien en dessous de ses fesses. Je lui ai fait remarquer et il est devenu tout de suite agressif et insolent : "Quoi ?! Qu'est-ce qui a ? J'men fous ! J'fais ce que je veux ! etc..." Je lui ai dit qu'il était exclu. Il a répondu "J'men fous, c'est ça ouais c'est ça..." Il a bien sûr remis sa casquette en me regardant insolemment. J'ai demandé à un élève de l'emmener à la vie scolaire. Comme il faisait mine de partir sans le mot d'exclusion, je me suis mise devant lui. IL M'A ALORS SAISI TRES VIVEMENT LE POIGNET QU'IL A SERRE POUR ME REPOUSSER DE SON CHEMIN. Il est revenu à la fin de l'heure me narguer, casquette sur la tête et caleçon à l'air.


Pièce 4. Convocation datée du 6 octobre.

Monsieur,

J'ai l'honneur de vous informer que conformément à l'article 6 du décret n° 85-1348 du 18 décembre 1985, j'ai décidé de saisir le conseil de discipline de l'établissement,

Lundi 23 octobre 2006 A 18 HEURES.

Ce dernier sera amené à se prononcer sur la situation de l'élève : S. Mohamed, 5° G.

Les faits qui motivent sa comparution devant cette instance sont les suivants :
- manque de respect envers une enseignante (3/10)
-manque de respect et geste violent envers une enseignante (5/10).

Vous pouvez dès à présent consulter le dossier de l'élève, auprès de mon secrétariat.

Je vous prie de croire, Monsieur, à l'assurance de mes sentiments les meilleurs.

Le principal.



Pièce 5. Rapport informatif rédigé par la professeure de SVT.

Nom de l'élève : Mohamed S., 5° G.
Date des faits : 16 octobre, 16 h 30.

Lundi dernier (le 9 octobre), l'élève Mohamed S. est venu devant ma salle, afin d'assister au cours de SVT alors qu'il est en mesure conservatoire. Je lui en ai fait la remarque et il a fait mine de ne pas me comprendre et m'a dit : "Je veux les devoirs !" J'ai interpellé un surveillant pour qu'il le fasse sortir de l'établissement.
Hier, il était de nouveau devant ma salle à 14 h 30. J'ai alors fait appeler un CPE par une élève car il ne voulait pas partir. Quand il a vu ça, il s'est enfui.



Le 23 octobre, Mohamed fut bien évidemment exclu de son nouveau collège ; entre son arrivée et son exclusion des cours, huit jours exactement s'étaient écoulés. Il fut extrêmement maladroit lors du conseil de discipline : les seuls mots qu'il bredouilla ne servirent qu'à nous rappeler des fautes que nous n'avions pas eu le temps d'évoquer. Ceux qui l'ignoraient encore apprirent ainsi qu'il avait pénétré à de très nombreuses reprises dans un établissement qui lui était pourtant interdit depuis le 6 octobre, qu'il était venu défier plusieurs de ses anciennes enseignantes, qu'il avait menacé de mort l'un des CPE, qu'il avait battu et racketté des élèves de sixième -en utilisant des complicités qu'il avait su nouer pendant son très bref séjour entre nos murs.

Devant les membres du conseil, Mohamed était seul : ni sa mère, ni sa tante ne se présentèrent à ses côtés. Il donnait l'impression d'avoir été abandonné par sa famille.

Il était physiquement très impressionnant, sans rien de commun avec les enfants qui peuplaient sa classe. On ne pouvait croire que ce visage de boxeur appartînt vraiment à un gamin de 13 ou 14 ans. Il s'était rasé le milieu d'un sourcil, comme 50 Cent. Je me souviens que pendant un de mes cours, où Mohamed somnolait paisiblement au premier rang, mon collègue Bastien Rochon était passé et repassé devant la porte restée ouverte. A la sonnerie, il m'avait avoué que c'était pour voir la tête du phénomène...

Personnellement, je n'ai pas eu de problèmes avec Mohamed. A son arrivée, je l'ai pris à part, et j'ai essayé de lui tenir un discours équilibré : j'espère que ce qui t'est arrivé t'a servi de leçon ; maintenant, sache qu'ici, tu peux repartir sur de nouvelles bases ; n'hésite pas à me demander de l'aide si tu en as besoin. Il avait hoché la tête sans dire un mot. Je ne sais pas s'il a pensé, ne serait-ce qu'une fraction de seconde, que oui, peut-être, il pouvait bifurquer là, ne pas poursuivre son itinéraire de petite racaille. Mon discours de bienvenue était de toute façon un peu en décalage par rapport à la réalité : le principal adjoint avait évalué son "espérance de vie" chez nous à un mois, et nous avait invités à lui signaler la moindre incartade du lascar.
Par la suite, Mohamed est venu une fois à mon cours, puis l'a séché, puis a été exclu dans l'attente de son conseil de discipline. Le numéro de téléphone où j'aurais pu joindre un membre quelconque de sa famille, je ne l'ai jamais connu.

Je crois qu'il m'aimait bien. Il vivait très loin du collège et je lui avais promis que j'aiderais sa famille à compléter la paperasse qui lui permettrait d'obtenir la prise en charge du transport et la demi-pension pour un prix symbolique. Il avait dû être touché par cette manifestation de bienveillance.
La veille de son conseil de discipline, il est venu me serrer la main sur le parvis du collège. Je ne me suis pas dérobé, mais je lui ai fait remarquer qu'il n'avait pas le droit d'être là ; il a fait semblant de ne pas comprendre. J'ai essayé de lui faire parler de ses projets et il m'a dit qu'il souhaitait travailler dans la vente. Je me suis bien gardé de lui faire préciser quel type de produits il souhaitait vendre, et je lui ai souhaité bonne chance.

Je n'étais convoqué au conseil qu'en tant que témoin ; n'ayant pas le droit de me prononcer sur la sanction, je suis sorti dans le couloir, le temps de la délibération, et j'ai de nouveau échangé quelques mots avec lui.
"A votre avis, qu'est-ce qu'ils vont décider ?
-Mohamed, je ne voudrais pas être pessimiste, mais ça m'étonnerait beaucoup que tu échappes à une exclusion définitive.
-Quoi ?! Ils vont m'exclure pour ça ?
-Ben oui. Si tu essaie d'y réfléchir, tu verras que tu ne nous laisses pas vraiment le choix.
-Ouaah... Et qu'est-ce qui va se passer, ensuite ?
-La même chose que la dernière fois : le rectorat devra te trouver un nouvel établissement d'accueil, mais ça risque de prendre du temps."
Il semblait partagé entre la joie de se retrouver en vacances et un certain embarras. Il aimait bien Félix-Djerzinski -c'est du moins ainsi que j'interprétais ses intrusions. Son précédent bahut était dix fois plus dur que le nôtre, et il se serait bien vu dans le rôle du caïd local, entouré de petits moutons tout prêts à être tondus. Et puis, faute d'une autre maison...
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1 novembre 2007 4 01 /11 /novembre /2007 16:26
L'école française est laïque, c'est entendu. Le dogme et les croyances sont soigneusement tenus à ses marges. Mon expérience de professeur m'amène pourtant à penser qu'elle est fondée sur des paradigmes religieux et, plus précisément, catholiques.

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Des enseignants missionnaires

Pour les enseignants comme pour les missionnaires d'autrefois, il existe un souverain bien. Pour les pères blancs, c'était le Christ. Pour les enseignants d'aujourd'hui, c'est la connaissance, l'éveil intellectuel. Notre métier a le même but que leur sacerdoce : il s'agit d'imposer l'acceptation de ce que nous définissons comme le bien à des esprits dont, très souvent, les valeurs sont tout autres. Cette prédication comporte son lot d'implicites. Le savoir, que nous exaltons, a une valeur et peut une fois acquis être monnayé d'une façon ou d'une autre : ceux qui travaillent auront un beau métier, gagneront de l'argent et connaîtront des positions élevées au sein de la société. Telle est la récompense que les sujets méritants peuvent espérer dans "l'autre vie", celle d'adulte : l'application permet d'acquérir le savoir, qui confère à son tour le pouvoir (inutile de souligner la fausseté de ce raisonnement, que l'immense majorité des professeurs a pourtant été amené à formuler à voix haute devant sa classe pour la motiver).

En revanche, l'élève qui refuse explicitement d'admettre ces vérités révélées est perçu comme un être mauvais. On se préoccupe de lui, on voudrait bien le convertir, ne serait-ce que parce qu'il représente un dangereux exemple de subversion ; mais les sentiments qui nous animent à son égard sont bien souvent une rage impuissante et, disons-le, une haine et un mépris qui s'expriment dans les propos de table et conversations de machines à café ("Quel con, ce Machin"). La foi, cette foi qui est la nôtre et que nous nous sommes engagés à propager, nous interdit de nous désintéresser entièrement de lui ; de toute façon, l'institution le retient par la chaîne élastique de l'obligation scolaire : il est là, gênant comme un païen acharné à défendre, agressivement ou par la seule force de sa passivité, ses méprisables idoles.

Points de dogme

On connaît ces trois slogans: "égalité des chances" ; "élève au centre du système" ; "apprendre à apprendre". Ils sont centraux dans les politiques scolaires actuelles. Chacun d'eux, cependant, peut facilement être interprété dans ce sens religieux.

L'égalité des chances, c'est celle que confère l'annonce de la Bonne nouvelle pédagogique, dispensée par des milliers d'enseignants/prédicateurs. Et de même que la simple proposition de la foi a rapidement été remplacée par l'obligation de s'y rallier dans les pays où le christianisme était devenu religion officielle, l'égalité des chances est aujourd'hui tout autre chose qu'une répartition équitable des efforts consacrés à chaque élève : c'est, au fond, un désir d'égalisation sociale, qui est d'autant plus exacerbé, chez certains de nos collègues, qu'il est totalement irréalisable et totalement irréalisé.

"L'élèvocentrisme" rappelle l'image d'Adam, placé au centre du paradis terrestre et nommant animaux et plantes ; cette notion a quelque chose, aussi, de la cosmologie de Ptolémée. On ferait bien de remarquer que ce n'est pas parce que quelque chose est au centre d'un ensemble qu'il en est nécessairement le point le plus important : les fidèles sont au centre de l'Église, mais l'essentiel, c'est Dieu, bien évidemment. De la même façon, la centralité prétendue de l'élève est battue en brèche par le fait qu'il est obligé de fréquenter l'école jusqu'à 16 ans et que le cursus qu'il suivra au sein de cette école est quasiment unique, ce qui nie sa faculté de choisir et toute son individualité : le "centre", c'est en l'occurrence une place assignée dont il est illicite de chercher à bouger. Ainsi la sollicitude que l'on témoigne aux élèves paraît bien suspecte, car il se pourrait que le dispositif au centre duquel il se trouve ne soit autre chose que l'entonnoir où l'on déversera fractions, conjugaisons et repères chronologiques afin qu'ils aboutissent dans leur cerveau, en un bourrage de crâne bien intentionné mais finalement inefficace.

Enfin, apprendre à apprendre à apprendre, c'est évidemment l'objectif ultime du missionnaire à l'égard de ses ouailles : il ne sera pas toujours là pour sauver leur âme, et il faut placer en eux un corpus de valeurs et de convictions suffisamment solide pour qu'ils puissent faire face de façon autonome à toutes les situations (et s'abstenir de pécher). Par ailleurs, en raison de l'ambivalence du verbe "apprendre" en français, le slogan peut tout aussi bien se comprendre comme "apprendre à enseigner", et c'est peut-être là, en définitive, le but inavoué auquel travaillent les salariés de l'Éducation nationale : former la future génération de profs, tout comme autrefois, selon une logique de perpétuation qui est celle de toute administration, les pères des écoles chrétiennes destinaient leurs sujets les plus méritants à la carrière ecclésiastique.  

En toboggan

Qu'on me comprenne : je ne veux, en aucun cas, faire l'éloge de l'ignorance ; je voudrais simplement dire un mot en faveur de la liberté. Cette notion est souvent récusée, dans le cas des élèves, au motif qu'ils sont trop jeunes pour vraiment choisir. Ce n'est peut-être pas faux, mais cela a in fine cet effet pervers qu'on les habitue à ne pas choisir et ainsi, à reporter à une date indéterminée (mais très tardive) la prise de conscience de ce qu'ils sont des individus responsables d'eux-mêmes. Je me souviens d'Ismaïl, dont j'ai eu l'honneur redoutable d'être le professeur principal durant son année de cinquième : il lisait difficilement, il ne comprenait rien à rien, il avait terminé l'année sur un 05 de moyenne générale ; et comme je lui demandais ses projets, il me répondit (sans aucune trace d'humour) : "Je veux continuer mes études". Ce raisonnement est très répandu chez les cancres. Ils considèrent qu'il n'y a qu'à se laisser glisser le long du toboggan, au sein d'un système qui s'est si bien occupé d'eux depuis leur petite enfance ; une fois arrivé en bas, à 16 ans, on avisera : l'État ne pourra-t-il pas faire encore quelque chose pour eux ? Quand on considère a priori les individus comme irresponsables, ils le deviennent.

Connaissances inutiles, connaissances encombrantes

Comme professeur, je voudrais témoigner de deux choses. La première est que j'ai parfois eu honte, face à mes élèves, d'avoir à leur enseigner des choses qui ne me paraissaient nullement intéressantes à moi-même. Leur attitude m'inspirait alors deux sentiments : j'éprouvais de la gratitude et de l'admiration vis-à-vis de ceux qui, par conformisme, par sympathie à mon égard ou pour toute autre raison, faisaient l'effort considérable de suivre mon cours ; et en même temps, je ne pouvais m'empêcher de comprendre le point de vue de ceux dont l'esprit était manifestement ailleurs. Est-il normal que tous les jeunes de 14 ans doivent consacrer deux heures à comprendre le fonctionnement de l'économie allemande ? Je me pose au moins la question.

J'ai parfois exposé ces doutes à mes collègues. Ils m'ont répondu avec raison qu'il y a un certain nombre de choses que nous n'avons pas le droit de laisser ignorer à nos élèves, parce que la qualité de leur vie future en dépend. Si on n'a pas fait un peu de français et de mathématiques, on ne peut pas lire sa fiche de paie, ou son contrat de bail, ou remplir correctement le formulaire administratif. C'est vrai, mais je fais deux objections :
1) Cet vision utilitariste a conduit, ces dernières années, à confier aux enseignants des missions qui n'ont rien à voir avec leurs compétences, sensibilisation à la sécurité routière, au développement durable, à la diététique et que sais-je encore.
2) La majorité des connaissances dispensées aujourd'hui par l'école, ou en tous cas par le collège, n'a précisément aucune portée pratique : pour vouloir acquérir ce genre de savoir, il faut aimer le savoir, et l'aimer gratuitement (ce qui est une qualité peu répandue et quasiment impossible à susciter chez ceux qui ne l'ont pas). Quelle utilité pratique aura pour mes élèves la connaissance de la société française au Moyen-Âge ? Aucune. En se fondant sur cet a priori vague que la "culture" est importante -et qu'elle est importante pour tout le monde, et que tout le monde y a droit, et que tout le monde a le devoir de posséder ce bien-, on a fait des programmes scolaires qui, par exemple, comportent en quatrième pas moins de onze matières (au minimum), dont la plupart n'ont justement aucun rapport avec ces connaissances utiles qui permettent à chacun d'affronter les aspects les plus concrets de son existence adulte. Au contraire, on a réduit leur part pour les donner à d'autres enseignements : on fait, par exemple, beaucoup moins de français qu'il y a vingt ans, pour pouvoir caser les autres matières.

Liberté, choix, diversité : une utopie scolaire

Ce dont je rêve, c'est que l'école renonce à cet idéal missionnaire d'imposition du savoir, au bénéfice d'un tout autre état d'esprit, où les connaissances, à partir d'un certain âge et d'un certain socle, ne seraient plus qu'une proposition dont chacun pourrait à sa guise se saisir ou se désintéresser. Finissons-en avec le post-catholicisme scolaire ; s'il nous faut un paradigme religieux, allons plutôt le chercher chez les protestants, ou chez les Juifs. Que chacun fasse son salut par lui-même, selon les voies qui lui conviennent le mieux. Et que ceux qui préfèrent l'enfer de l'ignorance soient laissés libres de se damner.

Concrètement, cela impliquerait par exemple :
*que le socle commun des connaissances soit révisé à la baisse.

*que le temps passé par les élèves à l'école soit abaissé (la classe de sixième dont je suis professeur cette année a 30 heures de cours hebdomadaires, sans compter les heures d'études, la vie de classe ou le soutien obligatoire ; et pour connaître le temps qu'ils consacrent à l'école, il faudrait ajouter, du moins pour certains d'entre eux, les heures passées sur les devoirs. On arrive à une quarantaine d'heures par semaine. C'est trop.)

*que le nombre de matières enseignées, en particulier au collège, soit abaissé à six ou sept, pas plus, par exclusion de certaines disciplines du tronc commun et regroupement de certaines autres : français, une langue étrangère, mathématiques, sciences, histoire-géographie, technologie.

*que les établissements soient libres, dans une large mesure, de déterminer le nombre d'heures dont doit bénéficier chacune de ces matières, ce qui leur permettrait de créer, dès la sixième s'ils le souhaitent, des filières avec un fléchage professionnel : on ne ferait évidemment pas la même chose dans une classe où le français recevrait un tiers du nombre d'heures disponibles que dans une classe où c'est la technologie qui recevrait cette dotation.

*que toutes les autres matières soient optionnalisées et fassent l'objet d'un enseignement qui aura lieu dans l'enceinte de l'établissement, mais en-dehors des horaires scolaires stricto sensu ; cela permettrait d'ailleurs d'enrichir considérablement le panel des matières disponibles, puisqu'on pourrait ajouter aux disciplines existant déjà celles qui seraient proposées par les professeurs ou par des intervenants locaux : on aurait ainsi des cours d'arabe, de cinéma, de menuiserie, etc, et ce dès la sixième. L'une des options partout disponibles serait bien entendu le soutien pour les élèves en difficulté ; mais ce soutien, encore une fois, ne serait dispensé qu'à ceux qui le demanderaient.

*que l'on multiplie (à l'intérieur du collège unique, puisque cette vache sacrée semble intangible) les dispositifs tels que la SEGPA, l'apprentissage ou les classes d'insertion, permettant aux élèves qui n'ont aucun goût pour les enseignements abstraits de s'en dispenser au maximum pour apprendre rapidement une ou plusieurs activités pratiques.

*que l'âge marquant la fin de la scolarité obligatoire soit abaissé à 14 ou 15 ans.

*qu'au-delà de cet âge, un élève exclu de son établissement ne soit pas automatiquement reclassé par le rectorat dans un autre collège/lycée, mais qu'il doive, s'il souhaite revenir à l'école, chercher lui-même un nouvel établissement d'accueil, avec lequel il devra au préalable négocier un contrat de projet.  
Toutes ces mesures auraient un objectif unique : la responsabilisation précoce des élèves par rapport à leur propre scolarité. Que les jeunes viennent à l'école parce qu'ils l'ont choisi, pour apprendre ce qu'ils auront choisi. Et que ceux qui ne veulent pas y aller soient au moins empêchés de la saboter. C'est ainsi, je crois, qu'on pourra faire de l'école autre chose qu'une vaste catéchèse, et des cours, autre chose qu'une fade pastorale.
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31 octobre 2007 3 31 /10 /octobre /2007 10:34
Bon, c'est les vacances... Mais voici la preuve que je ne cesse pas de penser à mon travail...

Martine-en-ZEP.jpg

Martine-et-le-g--ranium.jpg

Martine-construit-ses-savoirs.jpg

Martine-monarchiste.jpg

Martine-balayeuse.jpg

Pour vous défouler vous aussi, rendez-vous sur http://martine.logeek.com/create.php. Amusez-vous bien !

Les quatre premières couvertures sont de moi, pas la cinquième que j'ai trouvée sur la galerie du site.
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28 octobre 2007 7 28 /10 /octobre /2007 23:38
Battle-of-crecy-froissart.jpgMadame Benabdelmoumni, mère de Smaïn et Marwan :
"Mais pourquoi vous leur donnez pas plus de devoirs ? Des fois, Marwan rentre à la maison le soir, je lui dis 'Montre-moi ton agenda', et il n'y a rien de noté dedans. C'est pas normal, ça, monsieur.
-Madame, je ne peux pas parler pour tous mes collègues, mais je pense que ça tient à deux choses. Primo, ça ne sert pas à grand chose qu'on donne des devoirs, vu que la majorité des élèves ne les font pas.
-Ah mais moi je vérifie !
-...et secundo, Marwan, comme beaucoup d'autres élèves, ne note pas ses devoirs. Voilà, c'est la fin de l'heure, on leur dit 'faites tel et tel exercice pour lundi', on les marque même au tableau, mais la plupart des élèves rangent leurs affaires comme si de rien n'était.
-Mais il faut les forcer ! Il faut venir à côté d'eux, leur demander 'Tu as noté tes devoirs ? tu as noté ?'
-Oui, vous avez parfaitement raison. C'est ce qu'il faudrait faire. On le fait, d'ailleurs, au début de l'année. Mais à la longue, vous savez, la mauvaise volonté systématique, ça fatigue. En plus, certains élèves n'ont pas d'agenda, d'autres ont perdu le manuel où figurent les exercices qu'ils sont censés faire. Et puis, essayez de vous mettre à notre place : vous avez vingt-cinq zigotos qui traînassent dans votre salle de classe, et vingt-cinq autres zigotos qui chahutent dans le couloir en attendant que vous les fassiez rentrer, ça crie, ça s'agite de partout. C'est pas toujours facile dans ces conditions d'aller voir Tartempion pour lui demander, 't'as bien noté tes devoirs pour lundi prochain ?' Parce que pendant que vous faites ça, il y en a trois autres qui sont en train de vous chaparder vos craies pour se les jeter dessus lors du cours suivant.
-Mais c'est important, monsieur, de donner des devoirs. Quand j'étais élève, les professeurs donnaient des leçons entières à apprendre, et on les apprenait, ils donnaient des pages et des pages d'exercices, et on les faisait. Et ça marchait bien, on apprenait des choses. Pourquoi vous ne faites plus comme ça ? Et les punitions, pourquoi vous ne donnez pas plus de punitions ?"

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J'ai fait mon service militaire en coopération. On m'a nommé professeur dans une école française à l'étranger. Le collège y était minuscule, les quatre classes ne totalisaient pas quarante élèves. C'est pourquoi on m'a demandé, en plus de mon service en histoire-géographie, d'enseigner le français en classe de cinquième. J'étais très inquiet car je ne savais pas comment m'y prendre ; et je n'avais pas vraiment le temps de me plonger dans les ouvrages de didactique, car je n'avais été prévenu que quatre jours à l'avance. Du coup, j'ai répété ce que mes propres professeurs avaient fait naguère : de la grammaire, du Bled, des dictées, des définitions à copier dans le dictionnaire, la récitation de poèmes classiques appris par coeur. C'est ainsi qu'en quelques semaines, j'ai conquis le respect d'une communauté de parents pourtant réputée pour son insatisfaction chronique.
Ai-je servi mes élèves ? J'avais la réputation d'un prof sévère et un peu ennuyeux. Mais je crois que beaucoup me savaient gré d'avoir posé des repères précis et dont je garantissais la solidité ; leur gratitude, d'ailleurs, était d'autant plus forte que la plupart d'entre eux naviguaient entre deux ou trois langues -celle du pays, celle(s) de leurs parents, celle de l'école- et que certains n'en maîtrisaient vraiment aucune. Le français un peu suranné que je leur apprenais était une valeur sûre, un ancrage.

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Conversation à la cantine avec Dimitri, professeur d'anglais, et Catherine, professeure d'arts plastiques.
-Ah non, me dit Dimitri d'un air un peu gêné, on ne donne plus la liste des verbes irréguliers à apprendre.
-Ah bon ? To be, I was, been, ça n'existe plus ?
-Non, plus vraiment, non.
-Mais moi, quand j'étais gamin, j'aimais bien apprendre.
-Tu dis ça parce que tu étais un bon élève.
-Mais on m'a donné les moyens de le devenir, aussi. Et alors, si tu ne leur fais plus potasser ce genre de point de grammaire, comment tu fais ?
-Écoute, il faut être pragmatique, et regarder qui sont les élèves qu'on a en face de nous, hein. Et nos élèves, ils ne travaillent pour ainsi dire pas du tout à la maison. Donc on fait beaucoup de conversation pendant les cours, et on leur fournit du vocabulaire et des règles quand ils en ont besoin.
-Ah bon ? Mais y'a des points de langue que vous ne devez jamais aborder dans ces conditions.
-Ben si, on essaie de les diriger, quand même.
-Non, je te dis ça parce que nos élèves parlent une langue très très pauvre. Alors si tu leur donnes juste les outils nécessaires pour la traduire en anglais, tu ne vas pas très loin, à mon avis.
-Et le moyen de faire autrement ? Comment tu veux que je leur fasse employer en anglais un vocabulaire et un niveau de langage dont ils ne soupçonnent même pas l'existence dans leur langue maternelle ? Et puis, bon, tu sais, moi, je suis bête et discipliné. C'est ce que la hiérarchie veut qu'on fasse : "les élèves doivent construire leurs savoirs", etc.
-Ah oui mais excuse-moi, c'est de la foutaise totale ces histoires de constructivisme pédagogique. Quand tu regardes les programmes du collège en arts plastiques, tu es frappé par une chose très simple. En sixième, cinquième et quatrième, ils te disent "l'élève doit découvrir ceci et cela et celi et ceça." Très bien, on tâtonne, on expérimente, on s'amuse. Et puis en troisième, le ton change complètement, on va passer le brevet des collèges, et là ce que te disent les programmes, c'est : "L'élève doit savoir telle et telle chose." Bon, mais comment il les a apprises ? Si on l'a laissé construire ses savoirs, je peux te garantir qu'il ne sait que dalle.

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Je me souviens que, quand j'étais collégien, j'aimais beaucoup l'exercice qui consistait à retenir des choses par coeur -que ce soit des poésies, des théorèmes mathématiques ou toute autre chose. A la fin de ma scolarité secondaire, j'avais une telle mémoire qu'à la deuxième lecture, je pouvais réciter sans erreur ou presque un texte d'une page. Ce qui avait ma préférence était les langues. Notre professeur d'espagnol était de l'ancienne école et la base pour lui, c'était de mémoriser le plus vite possible l'ensemble du Claro, un petit livre à la couverture rouge qui résumait l'ensemble des règles... et des irrégularités de la langue (et Dieu sait qu'il y en a). Évidemment, cette méthode avait deux points faibles, qui faisaient en même temps sa noblesse. La première était que ceux qui ne travaillaient pas étaient rapidement largués ; on ne pouvait pas apprendre par imprégnation, de façon indolore, et seuls ceux qui faisaient leurs devoirs progressaient. La seconde était que nous étions mieux préparés, de la sorte, à la lecture des bons livres qu'aux échanges de la vie quotidienne -je m'en suis bien rendu compte lors de mon premier séjour linguistique, à Valence, chez la brave famille Saez Saez.
Plus tard, j'ai passionnément aimé le latin. Cette langue morte depuis 1500 ans, qu'écrivaient encore quelques moines du Vatican, ressemblait à un code secret dont la clé se trouvait dans d'interminables tableaux de déclinaisons. Hic, haec, hoc. Hunc, hanc, hoc. Hujus, hujus, hujus. Huic huic huic. Hoc hac hoc. Beauté raide et hoquetante de ces incantations magiques. En m'échinant sur les périodes de Cicéron ou de Salluste, je n'éprouvais aucun sentiment d'inutilité ; il me semblait au contraire que mes efforts finiraient par me faire accéder à un sens que ne bornait ni la langue latine ni l'histoire romaine, mais qui portait au-delà, dans une métaphysique.
Plus tard encore, après le bac, j'ai perdu cette rigueur, j'ai négligé d'entretenir ma mémoire, et je le regrette. Mais je crois que tout ce que ces efforts de jeunesse ont laissé en moi est bon.

*     *     *     *     *

Discussion de machine à café avec mon collègue Didier.
Moi. -...non, ils ne sont pas bêtes. Et dans la plupart des cas, leur indiscipline est gérable. Mais ce qui rend ce métier impossible, c'est leur paresse.
Didier. -Oh là, je t'arrête tout de suite. Moi, un enfant paresseux, je sais pas ce que c'est.
Moi. -Didier, il faut que tu viennes faire un tour sur ma planète, tu sais.
Didier. -Non, non, je t'assure. Il n'y a pas d'enfant paresseux. Par contre, il y a des enfants qui s'ennuient, ça oui, c'est vrai. Parce qu'il y a longtemps qu'ils ne voient plus ce qu'ils font à l'école. Ya des gamins, en grande section de maternelle, ils n'y arrivent déjà plus, et alors ils sont ostracisés par la maîtresse -pas méchamment hein, mais bon, ils se retrouvent un peu hors circuit... Et ça devient pire en CP, pire en CE1, etc... Alors nous, quand on les récupère en sixième, oui, on a l'impression qu'ils sont mous, mais la vérité, c'est qu'ils sont démotivés et malheureux d'avoir raté leur scolarité, malheureux de l'avoir raté dès le départ.
Moi, ironiquement. -Et personne, personne ne s'est jamais intéressé à leur cas, malgré les milliers de dispositifs de lutte contre l'échec scolaire. Et nous, profs du secondaire, nous devons leur redonner confiance en nous rapprochant de leurs centres d'intérêt, n'est-ce pas ?
Didier. -Pas forcément, mais il ne faut pas les accabler davantage en les accusant d'être paresseux. Il y a toujours quelque chose qui les motive, même si c'est en dehors de l'école. Moi, j'ai un élève que tu trouverais sans doute feignant au possible ; mais ce gamin, quand tu le mets en face d'un ordinateur, il est infatigable. Et il en sait plus que toi et moi réunis.
Moi. - Et on fait quoi quand les centres d'intérêt de l'élève en question, c'est 1) la Playstation 2) le foot 3) sa coiffure ? Parce qu'excuse-moi, mais c'est tout de même le cas de 90 % de nos cancres.
Didier. -"Cancre", c'est encore un mot que j'éviterais. Tu sais que ça a la même origine étymologique que "cancer" ou "chancre".
Moi. -Et alors ?
Didier. -Quand tu les qualifies de cancres, tu dis en fait qu'ils sont, primo, nuisibles, secundo et par voie de conséquence, à éliminer.
Moi (après une petite hésitation). -C'est ce que je pense.
Didier. -Arrête ! Tu penses pas vraiment ça !
Moi. -Tu te doutes que je ne veux pas les tuer...
Didier. -Encore heureux.
Moi. -...mais il faut voir que la scolarité d'un élève en ZEP, c'est 8.000 euros par an. Et moi, je ne suis pas seulement un prof, je suis aussi un citoyen et un contribuable. Alors quand l'un de nos agnelets arrive en quatrième et que, malgré les efforts et le dévouement de dix enseignants successifs, il sait à peine lire, il faut arrêter de s'acharner. Il faut reconnaître que le temps et l'argent qu'on pourrait encore lui consacrer seraient perdus, et le mettre à la porte. D'ailleurs, c'est bien souvent ce qu'il veut.
Didier. -Mais c'est affreux ce que tu dis ! Qu'est-ce qu'il va faire de sa vie, le gamin illettré qui se retrouve à la porte de l'école à quatorze, ou même à treize ans ?
Moi. -C'est son problème. La société lui a donné sa chance, il ne l'a pas saisie, tant pis pour lui.
Didier. -Alors là, je ne peux vraiment pas te suivre. Je trouve ton raisonnement limite facho. L'élimination des moins aptes, ça ne te rappelle rien ?
Moi. -Didier, garde ton laïus pour la prochaine réunion du MRAP. Moi, ce que je ne peux plus supporter, c'est ce discours compassionnel, tu m'excuseras, ce discours compassionnel à la con. Dans mes classes, les bons élèves ne peuvent plus m'écouter parce qu'une poignée d'analphabètes fout le dawa à chaque cours. Il est pas là, le fascisme ?

Et nous nous sommes quittés fâchés.
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