5 octobre 2007
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Par les vitres du bus qui emmène ma classe de sixième au musée des Antiquités nationales de Saint-Germain en Laye, je regarde le paysage qui défile sous la pluie. En un peu moins d’une heure, le changement est hallucinant. Aux quartiers tristes, pauvres et gris de la Seine-Saint-Denis succèdent d’abord, au nord des Hauts-de-Seine, la multitude des bureaux verre et aciers peuplés de costard-cravate affairés ; puis, à partir du Vésinet, la verdure, les jolies maisons aux murs blancs vierges de tout tag, les trottoirs impeccables : la civilisation bourgeoise (pléonasme). Même des yeux aussi peu observateurs que ceux de Sabrina perçoivent la différence. « Ouah msieu, c’est chez les richmans ici ! » Tout excités, les gamins se collent aux fenêtres et ricanent, sans que je sache très bien si cela traduit du mépris pour ce monde étranger, apparemment aseptisé et endormi, ou de l’envie.
.Au cours de la visite, la classe est parfaite. Ils écoutent très attentivement, prennent des notes, font des croquis des silex taillés et des propulseurs –qui ne sont pourtant que des cailloux et des bouts de bois. Devant les crânes de Néanderthal, ils posent des questions troublantes sur la diversité de l’espèce humaine. Quelques-uns s'arrêtent longuement devant la Vénus de Brassempouy. Même les cancres font un gros effort et collent leurs nez sur les vitrines avec une bonne volonté touchante. Leur silence studieux leur fait honneur. Une heure durant, on oublie complètement que ces gamins viennent du féroce 9-3. Ma collègue Catherine et moi-même recevons avec fierté les félicitations de la conférencière.
.Dans le bus, leur quotidien reprend. Cindy, une élève de l’UPI (débile légère) affabule gentiment en nous racontant ses vacances chez Justin Timberlake et Briney Spears. Les garçons se lancent dans une longue comparaison de la Wii, de la PS et de la X-box, puis, faute de mieux, jouent à pierre-papier-ciseaux. Frédéric chantonne comme un automate les trois premières paroles du haka néo-zélandais, qu’il a appris sur TF1. Fatoumata et Hind évoquent leurs nombreuses familles et essaient de décider si le fils d’une belle-mère peut être considéré comme un frère. –Nous voici revenus à Staincy. Il pleuvine toujours ; des groupes de grands ados à casquettes et capuches traînent devant le portail comme des vautours en attente d’une carcasse. Dans le vestibule de la cantine, une centaine d’élèves, rendus hystériques par le temps, trépignent, se bousculent et hurlent. Nos gentils sixième disparaissent dans cette masse. Que leur restera-t-il après-demain de cette matinée au musée ?
Ratko, un élève taciturne et plutôt solitaire, regarde le squelette désarticulé d'un Cro-Magnon. A quoi pense-t-il ?