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  • : Au collège
  • : Je suis professeur d'histoire-géographie au collège Félix-Djerzinski de Staincy-en-France. Ce métier me rend malade et il fait ma fierté. Avant d'en changer, je dépose ici un modeste témoignage.
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10 avril 2008 4 10 /04 /avril /2008 14:40

Si ce n'est déjà fait, lisez d'abord ceci puis ceci.

 

Le jeudi soir, les enseignants se séparèrent très perplexes. Le lendemain vendredi, beaucoup ne travaillaient pas, ou ne travaillaient qu'une demi-journée. C'est donc le lundi à midi qu'une réunion se tint. L'angoisse et la colère avaient été involontairement ravivées par le principal qui avait affiché en salle des profs un compte-rendu assez détaillé de l'agression de Mme Lunar. La discussion fit ressortir clairement deux points :

    -nous n'avions pas grand chose à attendre de notre direction, qui estimait avoir fait tout son devoir en expulsant Josué de nos locaux, en signalant les faits aux instances académiques et en convoquant un second conseil de discipline. Le principal semblait vouloir minimiser l'incident, pour ne pas affoler les parents, et peut-être aussi pour des raisons moins honorables tenant à sa carrière (la hiérarchie et, de plus en plus, la presse, considèrent qu'un établissement où l'on ne punit pas est un établissement tranquille, donc bien géré).

    -les conditions qui avaient rendu possible l'attaque d'un professeur par un élève dans sa propre salle de cours étant toujours réunies, la répétition d'un pareil épisode nous paraissait non seulement possible, mais assez plausible : parmi les camarades de Josué, certains exaltaient carrément son geste fou, et des versions de plus en plus fantaisistes de l'évènement circulaient dans la cour de récréation. Les imaginations chauffaient et nous avions le sentiment que, une digue ayant sauté, un déferlement de mauvais coups nous arrivait en plein. Il était nécessaire de marquer un coup d'arrêt.

 

A la quasi-unanimité, les professeurs présents décidèrent de cesser le travail le lendemain après-midi, et de consacrer ces quelques heures à un bilan des violences commises récemment -et éventuellement, à la recherche de quelques solutions. L'information fut dictée à nos élèves dès la reprise des cours, à 13 h 30. Mes élèves de cinquième eurent l'intelligence de ne manifester aucune joie en apprenant qu'ils bénéficieraient d'une demi-journée de liberté, parce qu'ils avaient compris les motifs de cette décision.

Dès 15 h 30, mes collègues et moi-même trouvions dans nos casiers un mot du principal nous avisant que notre décision était illégale et que les cours devraient être assurés le lendemain. Les obstinés seraient considérés comme grévistes (et à ce titre, se verraient retirer un jour de salaire). M. Navarre nous proposait tout de même, une quinzaine de jours plus tard, dans la semaine précédant les vacances, une demi-journée banalisée pour réfléchir à la redéfinition de notre projet d'établissement.

Ce mot nous a tous consternés. L'impression était que notre direction cherchait à étouffer l'affaire, qu'elle nous traitait comme une bande de gamins indisciplinés et qu'elle n'avait en fait aucune idée de la réalité des problèmes que nous rencontrions tous les jours. Nous nous retrouvions divisés dans une circonstance où nous aurions au contraire dû manifester une unité sans faille. Et on ne pouvait plus faire autrement que d'aller à l'épreuve de force.

 

Et le lendemain, à 13 h 30, on vit à Félix-Djerzinski une scène vraiment étrange : une soixantaine d'adultes (soit les 3/4 du corps enseignant, auquel était venu se joindre deux des trois CPE, plusieurs surveillants, la concierge, etc), rassemblés dans l'exiguïté de la salle des profs, attendaient que leur chef vienne leur dire quelques mots ou qu'au moins, il montre d'une façon ou d'une autre sa bonne volonté à leur égard. Ce signe ne vint pas. Les pions allèrent à la grille et constatèrent qu'une quinzaine d'élèves seulement, sur 600 externes, s'étaient présentés ; on les renvoya chez eux, on libéra les demi-pensionnaires, et la porte fut refermée. Je pensais à M. Navarre, seul dans son bureau du deuxième étage, tandis qu'au rez-de-chaussée nous étions unanimes à blâmer son attitude. J'étais tenté de le plaindre ; mais, comme dit le proverbe, "qui creuse un trou tombe dedans".

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commentaires

H
J'ai vécu le cas d'un collègue ayant reçu un coup de poing dans la mâchoire de la part d'un parent d'élève et ce dans le bureau du principal lors d'un entretien avec les parents, l'élève et le prof et le cpe et le principal jouant les médiateurs. Après avoir tenté d'étouffer l'affaire (cela avai eu lieu après les cours), certains collègues ont exigé une expliaction de la direction qui ne l'a faite qu'au bout de 3 jours... Nous avons eu droit à une démonstration de langue de bois d'une maestria infinie qui a débouché sur une décision collective et unanime d'exercer notre droit de retrait... Une AG extraordinaire avec les parents, les profs et l'inspection a eu lieu. Résultat final, beaucoup de bruit pour rien, des parents remontés contre les profs qui avaient osé protester (!) et en définitive beaucoup d'amertume. Il serait temps de s'interroger plus que sérieusement sur ce que l'on attend de nous, de la part des parents et de la hiérarchie, et si une quelconque volonté politique de ne pas se faire remarquer au sein du rectorat et de l'opinion vaut vraiment que l'on s'écrase... Car au final, qui est déservi par cette attitude de cache-cache ?
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K
Je pense plutôt que dans un cas de violence envers un prof. une demie-journée de débriefing n'est pas de trop. C'est dommage que cela ne vienne pas de la direction et explique sans doute bien des problèmes de non respect du corps enseignant. Dans un environnement aussi difficile on a pas le droit à l'erreur.<br /> Mes souvenirs des années de collège (au lycée ça se calme) sont émaillés de souvenirs d'actes de rebellion qui se sont nettement amplifiés quand le principal du collège a changé… Il semblerait qu'un réglement intérieur dont les sanctions sont appliquées permettent de maintenir un semblant d'ordre, chacun sait à quoi s'en tenir. Le respect du personnel par sa hiérarchie induit le respect des élèves envers leurs prof., pourquoi un ado. respecterait qqun que son "patron" n'écoute même pas.<br /> N'oublions pas qu'en entassant près de 3000ha/km2 ont créé une poudrière.<br /> Ancienne "caillera" du 9-3, je pense parler en connaissance de cause. Nous (notre classe, moi en témoin passif) avons envoyé un prof. à l'hosto., il n'est jamais revenu enseigné. Je n'en suis pas fière mais je n'ai pas honte. C'était l'année suivant le changement de principal, les années précécentes nous étions un des collèges les plus calmes et dans les mieux classés du département...<br /> Il n'y a pas de solution miracle hélas.
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D
<br /> Eh non, vous avez raison, il n'y a pas de solutions miracles... Cette demi-journée nous a fait beaucoup de bien, ne serait-ce que parce qu'elle a permis d'affirmer la solidarité de tous les adultes<br /> travaillant au collège ; beaucoup de choses utiles se sont dites ; pourtant le bordel a continué de plus belle.<br /> <br /> <br />
H
L'aggression d'un professeur par un élève est quelque chose de grave et d'anormale. Je ne crois cependant pas que c'est en cessant le travail, ne serait-ce qu'une demi-journée, que le corps professoral trouvera ou retrouvera la légitimité qui doit être la sienne surtout lorsque l'on considère la sociologie de ce collège. Comme encouragement aux comportements délictueux et à une certaine fainéantise, difficiel de faire mieux! De tels comportements n'ont d'égal que celui de la direction.
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D
<br /> Mais que faire ?  De la thérapie de groupe ? Travailler avec un brassard noir ? Un flash-mob ? Je crois que nos élèves -dont 90 % respectent l'école et leurs professeurs- ont parfaitement<br /> compris le sens de notre démarche. <br /> <br /> <br />