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  • : Au collège
  • : Je suis professeur d'histoire-géographie au collège Félix-Djerzinski de Staincy-en-France. Ce métier me rend malade et il fait ma fierté. Avant d'en changer, je dépose ici un modeste témoignage.
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11 octobre 2007 4 11 /10 /octobre /2007 22:56

Je jette mon gobelet vide dans la poubelle. Aussitôt, l'adorable petite Ümeyhan sort du rang (je suis en train de mener sa classe de la cour de récréation à notre salle) et elle me félicite : 
"Monsieur, c'est bien ce que vous venez de faire !
-Qu'est-ce que j'ai fait ?
-Vous avez mis votre déchet dans la poubelle ! C'est important pour la planète ! Après, on pourra recycler !
-Ah bon ? Ca t'intéresse ce genre de choses ?
-Oh oui, beaucoup monsieur ! Regardez mon agenda, c'est celui du WWF -ils ont reversé un euro pour sauver les pandas ! Ah oui, moi j'aime la nature, je défends la nature ! Je suis une naturiste !"

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9 octobre 2007 2 09 /10 /octobre /2007 21:44

WikiEurope-copie-1.jpgDepuis que je suis arrivé à Félix-Dzerjinski, mon niveau d'exigence n'a cessé de baisser. Lors de ma première année d'enseignement, seuls les bons élèves parvenaient à me suivre ; et comme il y en a très peu, il a fallu que je démocratise. Mais j'ai parfois l'impression d'avoir mis la main dans un engrenage terrible. L'ignorance et la mauvaise volonté de mes ouailles m'oblige en effet à retrancher du cours, année après année, des connaissances que j'estimais naguère indispensables. 
Cette érosion des savoirs n'est nulle part plus nette qu'en quatrième. Dans les petites classes, beaucoup d'élèves -même parmi les plus faibles- conservent un peu de cette curiosité enfantine qui permet de les hisser au-dessus du minimum vital. Chez les adolescents flamboyants qui peuplent les classes de quatrième, en revanche, ne semble subsister aucune des qualités qui rendent la transmission possible (ces qualités étant, par ordre d'intérêt décroissant, le désir de savoir, le goût de l'effort, l'esprit de compétition, le respect de l'autorité professorale, la crainte des sanctions). On a alors affaire à de grands corps mollassons, mal élevés et tourmentés par leurs glandes. 
Les rares individus qui, au sein de cette population, témoignent d'un peu de souci de s'instruire, ou d'un respect sincère pour l'institution scolaire, se font impitoyablement mettre en boîte. "Intello" est l'une des pires insultes que l'on puisse subir dans ce contexte, d'autant qu'elle est utilisée avec parcimonie. Dans la plus mauvaise de mes deux quatrième, la seule élève qui ait un niveau convenable évite par tous les moyens de se mettre en avant ; mais cela ne lui permet pas d'échapper aux quolibets lors de la correction des devoirs, où elle est parfois la seule à avoir obtenu la moyenne.

Ce phénomène de médiocrisation (qui touche en premier l'enseignant) m'a sauté aux yeux quand nous avons étudié la carte de l'Europe. Sur deux fonds de carte, l'un physique, l'autre politique, j'ai demandé aux élèves de placer une quarantaine de repères -noms de mers, de fleuves, de montagnes, de pays. J'ai dû y consacrer beaucoup plus de temps que je ne l'avais prévu ; car même si j'accompagnais les élèves pas à pas, en projetant le document sur écran et en le complétant sous leurs yeux avec force commentaires, beaucoup n'y arrivaient pas. Ils voyaient bien des lignes figurer sur la feuille, mais ils ne savaient pas de quel côté était la terre, et de quel côté l'océan ; ils prenaient le tracé des fleuves pour celui des frontières, et vice-versa ; ils tenaient leurs cartes dans le mauvais sens ; ou bien encore ils se trompaient "un peu" et se montraient bientôt incapables de réparer les erreurs qui s'étaient accumulées. Ils manquaient d'aptitudes techniques très simples, que j'étais en droit de supposer acquises depuis longtemps, comme d'observer les actes d'un enseignant et de les reproduire à l'identique ; et ils manquaient aussi de connaissances essentielles -beaucoup, par exemple, étaient incapables de situer les points cardinaux, et ne comprenaient donc rien à mes explications. 
Et plutôt que de se révolter contre ces manques, de vouloir les combler, ils manifestaient une irritation sans cesse croissante contre les modestes savoirs que je prétendais leur faire acquérir -soit parce qu'ils étaient bien conscients qu'il était de toute façon trop tard pour eux, soit parce que la paresse qui leur a fait prendre tant de retard s'est épanouie au fil du temps, pour atteindre à présent des dimensions monumentales.

A partir du vingtième ou vingt-cinquième toponyme, des gémissements ont commencé à s'élever dans la classe : "Mais monsieur, comment voulez-vous qu'on apprenne tout ça ? On n'y réussira jamais ! Et à quoi ça sert, d'abord ? Qu'est-ce que j'en ai à faire de la Volga et du Danube ?" J'ai fait de mon mieux, je me suis battu pour l'intégrité de la géographie européenne ; mais à la fin, devant ce qui devenait une véritable révolte (plusieurs élèves avaient carrément cesser d'écrire quoi que ce soit, estimant sans doute que leur cerveau était plein), j'ai dû lâcher du lest. 
Si je compare la carte réalisée cette année avec celle d'il y a deux ans, je vois tout ce que le temps et l'inappétence ont fait disparaître. La plaine germano-polonaise a disparu, et je sens que les Carpates auront subi le même sort à la rentrée 2008 ; le Pô, l'Oder, l'Ebre et le Tage ont été effacés, tout comme la mer Egée ; l'Irlande, le Portugal et la Grèce ont été, au sens propre, rayés de la carte -la Norvège et la Roumanie ne se sauvant que d'extrême justesse. Ne parlons même pas des villes européennes, qui ont complètement cessé d'exister. 
Si je ne m'enfuis pas à temps, j'ai peur qu'un jour, la carte ne reste entièrement vierge. Les lieux n'auront plus de nom, et il n'y aura d'ailleurs plus de lieux : il n'y aura plus rien. Nous disparaîtrons.

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9 octobre 2007 2 09 /10 /octobre /2007 21:25

Aujourd'hui, c'est moi qui suis allé chercher Louis à l'école maternelle. Comme nous traversons le hall, je lui demande :
"Alors, Louis, qu'est-ce que tu fais dans cette salle ?
-De la mo-tri-ci-té", me répond-il, sérieux comme un pape.
Estomaqué, je relance : "Ah bon ? Et qu'est-ce que c'est, la motricité ?
-On fait une ronde, on met de la musique et on danse."

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8 octobre 2007 1 08 /10 /octobre /2007 22:49

516px-Arsenal-FC-1-.JPGDans la file d'attente de la cantine, un gamin chahute. Je le calme (enfin j'essaie) et ce faisant, je remarque son nom sur sa carte.
"Tiens ! C'est toi le fameux Lionel Sainte-Rose !
-Bah oui. D'où vous me connaissez ? Vous avez jamais été mon prof.
-C'est monsieur Rochon qui m'a parlé de toi."

Bastien Rochon était l'un des enseignants les plus populaires du collège. Son humour et sa décontraction faisaient pardonner son immaturité ; l'apparition de sa silhouette rigolarde et un peu balourde détendait presque toujours l'atmosphère -ce qui, dans un collège de ZEP, n'est pas une petite qualité. Bastien était également très populaire auprès des élèves, des garçons en particulier, parce qu'il dirigeait la classe à horaire aménagé sport, plus communément appelée classe foot, où la moitié des ados de la commune guignaient une place. Notre collègue jouait d'ailleurs sur plusieurs tableaux puisqu'un grand club de province l'avait aussi chargé du repérage des jeunes talents banlieusards ; l'olibrius passait beaucoup de temps, en salle des profs, à discuter au téléphone avec ses employeurs des qualités de telle ou telle recrue possible (et ce sans aucune trace de gêne). Cette double casquette me paraissait poser quelques problèmes déontologiques, mais elle était très commode. Bastien arrondissait ses fins de mois, offrait un horizon doré à nos jeunes analphabètes et contribuait sur le long terme au succès sportif de l'équipe de son coeur. Tout était bien.

Après quelques années à Félix-Dzerjinski, Bastien s'est lassé : "Tu comprends, enseigner 500 fois de suite la technique du revers au badminton, moi..." Il a changé de voie et il est devenu agent de joueurs, c'est à dire qu'il se propose désormais de veiller aux intérêts et à la carrière de jeunes footballeurs. Ce changement d'orientation le remplissait d'enthousiasme, même s'il essayait de rester lucide : la mise de départ était assez importante et les bénéfices à terme, totalement incertains. Il m'expliquait, peu avant son départ, qu'il existe deux catégories d'agents de joueurs : ceux qui s'occupent d'un grand nombre de tacherons, et ceux qui se consacrent à un nombre limité de champions. Bastien semblait se ranger dans cette seconde catégorie.
"Et t'as qui, comme futur fuoriclasse ?
-T'as déjà entendu parler de Lionel Sainte-Rose ?
-Ouais, mais plutôt pour des problèmes de discipline que pour le foot. Il est si fort que ça ?
-Écoute, j'observe des matches un peu partout en région parisienne depuis quatre ans, et honnêtement, j'ai jamais vu ça. Si l'adolescence ne le démolit pas complètement, s'il confirme ses promesses, dans cinq ans il est sous contrat à Arsenal.
-Carrément !
-Carrément."
Et j'observais avec un peu d'ironie mon collègue en partance, qui était assez fou pour baser sa nouvelle carrière sur le talent supposé d'un gamin de quatorze ans.

Et à présent j'observe le prodige, qui est là, sous mes yeux. C'est un petit Noir nerveux qui ne paie pas de mine. J'essaie de l'imaginer plus grand, avec le maillot des Gunners. Si la prédiction de Bastien se réalise, Lionel Sainte-Rose, cancre avéré et tête à claques, jouira à vingt ans d'un salaire mensuel supérieur à ce que je toucherai pour l'ensemble de ma carrière.
"Bon, Lionel, calme-toi un peu. Et laisse-moi passer, j'étais avant toi dans la file."

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8 octobre 2007 1 08 /10 /octobre /2007 21:41

Classe de cinquième. Cours sur la population africaine.

Moi. -... et donc, le Rwanda est un pays très densément peuplé. A certains endroits, il y a 500 habitants au kilomètre carré, alors qu'on est à la campagne. Vous voyez d'ailleurs sur la photo que certains champs ne sont pas plus grands que cette salle de classe, parce qu'il faut partager la terre entre tous.
Jean-Baptiste, un élève intelligent, instruit et poli. -Monsieur, c'est pour ça qu'ils se sont entretués autrefois ?
Moi. - Euh... C'est un problème très compliqué... Disons que c'est une raison parmi beaucoup d'autres. Quand la guerre a commencé, certains se sont peut-être dit "Si je tue mon voisin, j'aurai sa vache, ses champs et sa maison." Voilà, c'est la nature humaine.
Jean-Baptiste, sereinement. -Mais c'est pas mal, finalement. Ça a fait de la place.
Plusieurs autres élèves. -Ouaaaah ! Comment tu peux dire ça ! On va te tuer pour prendre ta place, tu vas voir !

Tout en étant stupéfait par sa sortie, je ne peux pas en vouloir à Jean-Baptiste : la logique darwinienne de sa réflexion est typique d'un bon élève, et à son âge, j'aurais sans doute pensé la même chose -les êtres humains ne sont pas différents des animaux, quand il n'y a plus assez de ressources pour les nourrir tous, ils se suicident ou se massacrent.

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7 octobre 2007 7 07 /10 /octobre /2007 23:57

T--l---copie-1.jpgCe week-end, petite virée en province avec ma femme et mon fils. A l'hôtel, il y a évidemment une télé dans la chambre, et Louis veut voir les dessins animés. J'en regarde dix minutes avec lui. Je suis atterré par la bêtise, la violence, la laideur surtout de ce programme ; il est pourtant spécialement destiné aux enfants, et nous sommes sur le service public. Louis paraît fasciné par ce qu'il voit, et je dois, après avoir essayé de négocier, éteindre d'autorité. J'avais l'impression qu'il était en train de prendre du poison, du poison sucré.

Quand je dis à mes élèves que je n'ai pas de télévision chez moi, leur réaction est toujours à peu près la même : "Hein ? Mais c'est pas possible ! Qu'est-ce que vous faites le soir ?" (Pour être juste avec eux, j'ai déjà observé la même réaction chez certains de mes collègues). Je leur réponds que je lis, que je regarde des DVD sur mon ordinateur, que je joue avec mon fils, mais ils ne paraissent pas très convaincus ; je suis tout bonnement anormal. Souvent je me suis dit qu'une bonne partie de nos problèmes venaient de là : après avoir bataillé toute la journée avec leurs professeurs, les élèves rentrent chez eux la tête lourde et pratiquent un bon lavage de cerveau en allumant leur poste. Le foot leur fait oublier les maths, les jeux effacent la grammaire, la pub balaie les sciences physiques, les séries annulent les efforts du prof d'histoire-géo. Ce n'est pas de la détente, c'est de la purge. La télé est un anti-précepteur. Et son influence est telle que les salles de cours sont souvent polluées par son apport : la formule "J'ai vu à la télé que..." est prononcée au moins une fois à chaque cours, et elle introduit presque toujours une énormité. 
La consommation moyenne de télévision est de 3 h 38 chez les Français, et je n'ai aucune raison de la supposer inférieure chez mes élèves, bien au contraire. Or 80 % de mes élèves ont une télévision dans leur chambre. Les parents, quand on pointe ce fait, paraissent presque toujours surpris qu'on en fasse un problème. On est bien chez les pauvres.

Je me demande comment Louis, en grandissant, vivra l'absence de télé chez lui. Peut-être qu'il parviendra, à force de supplications, à nous convaincre d'en acheter une ; alors nous aussi nous nous avachirons devant des programmes dont nous penserons qu'ils sont stupides mais drôles, et que nous les voyons au second degré. Peut-être que ce sera une source de bagarres avec ses camarades-"Ouah, le clochard, il a même pas de télé chez lui, trop la honte !" Peut-être que des amis l'inviteront chez eux à savourer clandestinement les émissions préférées de sa génération, et le secret l'éloignera de nous. 
Quand il était plus petit, j'avais rêvé d'une école d'enfants atéliques, dont les parents auraient tous fait le même choix que nous. Le niveau aurait sans doute été excellent, mais il fallait craindre les attaques de citoyens téléphages offensés par notre démarche. Et les élèves rebelles se seraient sans doute rassemblés dans les chiottes pour regarder TF1 sur leurs portables. On ne peut se détacher de cette emprise.

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7 octobre 2007 7 07 /10 /octobre /2007 23:00

Voici quarante-cinq minutes que le cours a commencé et Marwan, pourtant placé au deuxième rang, sous mon nez, n'a absolument rien fait. Une consigne telle que "Passez une ligne" semble le plonger dans un embarras insurmontable, dont il se sort en ne l'exécutant pas du tout, en ignorant même qu'elle a été donnée. Malgré les remarques et les punitions, il a passé son temps tourné vers ses camarades, comme un spectateur mal placé au théâtre. Il a même réussi à prendre part à quelques petites escarmouches. Profondément exaspéré -mon cours n'avance pas-, je me défoule en lui hurlant dessus pendant cinq bonnes minutes. Mais cette thérapeutique, je devrais le savoir depuis le temps, est inefficace : sa tête ahurie et son expression pleine de mauvaise foi (on pourrait la traduire très exactement par "J'ai rien fait") ne font qu'augmenter ma fureur ; quant à lui, il semble solidement retranché derrière sa sottise et son habitude des engueulades. Il attend, somme toute placide, que je me montre un peu plus concret et que j'énonce la sanction. Je suis désemparé par mon inaptitude à susciter chez lui ne serait-ce que le début d'un sentiment de honte pour sa paresse ou pour les difficultés qu'il me cause. Je tente un dernier assaut.

"Mais enfin, Marwan ! Tu te rends compte de ce qui t'attend ? Au train où vont les choses, tu n'auras même pas ton brevet, aucun lycée ne voudra de toi, et alors qu'est-ce que tu feras ? Hein ? Qu'est-ce que tu feras ?

-Le ménage", ricane une voix quelque part dans la classe.

Et là, je pique un fard : la mère de Marwan est l'une des femmes de ménage du collège.

"Et alors ? Qu'est-ce que ça veut dire cette remarque ? C'est pas une honte, de faire le ménage ! D'ailleurs vous devriez vous en souvenir quand vous entrez dans cette salle ! Regardez-moi ça, qu'est-ce que c'est encore que ces coupures de papier par terre ? Mmh, Carmen ?

-Ouah, c'est pas moi, msieu !

-Ouais ben tu vas le ramasser quand même."

Je jette un coup d'oeil vers Marwan. Son visage lisse ne montre aucune émotion. Il continue de me fixer de la même mine bête. Il n'a rien compris.

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5 octobre 2007 5 05 /10 /octobre /2007 23:17
Par les vitres du bus qui emmène ma classe de sixième au musée des Antiquités nationales de Saint-Germain en Laye, je regarde le paysage qui défile sous la pluie. En un peu moins d’une heure, le changement est hallucinant. Aux quartiers tristes, pauvres et gris de la Seine-Saint-Denis succèdent d’abord, au nord des Hauts-de-Seine, la multitude des bureaux verre et aciers peuplés de costard-cravate affairés ; puis, à partir du Vésinet, la verdure, les jolies maisons aux murs blancs vierges de tout tag, les trottoirs impeccables : la civilisation bourgeoise (pléonasme). Même des yeux aussi peu observateurs que ceux de Sabrina perçoivent la différence. « Ouah msieu, c’est chez les richmans ici ! » Tout excités, les gamins se collent aux fenêtres et ricanent, sans que je sache très bien si cela traduit du mépris pour ce monde étranger, apparemment aseptisé et endormi, ou de l’envie.  
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DSCN1117.JPGAu cours de la visite, la classe est parfaite. Ils écoutent très attentivement, prennent des notes, font des croquis des silex taillés et des propulseurs –qui ne sont pourtant que des cailloux et des bouts de bois. Devant les crânes de Néanderthal, ils posent des questions troublantes sur la diversité de l’espèce humaine. Quelques-uns s'arrêtent longuement devant la Vénus de Brassempouy. Même les cancres font un gros effort et collent leurs nez sur les vitrines avec une bonne volonté touchante. Leur silence studieux leur fait honneur. Une heure durant, on oublie complètement que ces gamins viennent du féroce 9-3. Ma collègue Catherine et moi-même recevons avec fierté les félicitations de la conférencière.  
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Dans le bus, leur quotidien reprend. Cindy, une élève de l’UPI (débile légère) affabule gentiment en nous racontant ses vacances chez Justin Timberlake et Briney Spears. Les garçons se lancent dans une longue comparaison de la Wii, de la PS et de la X-box, puis, faute de mieux, jouent à pierre-papier-ciseaux. Frédéric chantonne comme un automate les trois premières paroles du haka néo-zélandais, qu’il a appris sur TF1. Fatoumata et Hind évoquent leurs nombreuses familles et essaient de décider si le fils d’une belle-mère peut être considéré comme un frère. –Nous voici revenus à Staincy. Il pleuvine toujours ; des groupes de grands ados à casquettes et capuches traînent devant le portail comme des vautours en attente d’une carcasse. Dans le vestibule de la cantine, une centaine d’élèves, rendus hystériques par le temps, trépignent, se bousculent et hurlent. Nos gentils sixième disparaissent dans cette masse. Que leur restera-t-il après-demain de cette matinée au musée ? 

DSCN1107.JPG

Ratko, un élève taciturne et plutôt solitaire, regarde le squelette désarticulé d'un Cro-Magnon. A quoi pense-t-il ?

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4 octobre 2007 4 04 /10 /octobre /2007 22:42
Début houleux d'un cours de quatrième. Tout à coup, la porte s'ouvre à la volée, et Camélia fait son apparition. J'ai une bouffée de chaleur. Je déteste tout de cette fille, son impolitesse, sa sottise, sa voix, son visage étroit de fouine, sa silhouette dégingandée. Aujourd'hui, elle est intégralement vêtue de rouge écarlate. Elle mâchouille je ne sais quoi. Aucune excuse évidemment pour son retard, et elle ne me dit même pas bonjour. Mais elle me fixe, et nous échangeons un regard ambigu, entre hostilité et connivence.
Je ne veux pas assister au cours.
Je ne veux pas que tu assistes au cours.
Marché conclu.
"Camélia, tu es trop en retard, je ne t'accepte pas."
Elle pourrait protester pour la forme, mais elle a la bonne idée de s'en abstenir et patiente poliment tandis que je remplis sa fiche d'exclusion, puis disparaît sans un bruit.
 
Dix minutes plus tard, hélas, elle revient, accompagnée d'un surveillant.
"On est désolé, mais il n'y a pas assez de personnel pour surveiller les élèves exclus."
C'est pas de ma faute.
Je sais bien. 
"Allez, va t'asseoir, et silence, pour une fois."
Et de fait son calme est remarquable, comme si elle voulait me remercier de ma bonne volonté à son égard.

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3 octobre 2007 3 03 /10 /octobre /2007 15:26

Le petit Raphaël est entré en maternelle il y a un mois. Sa maman demande à la maîtresse comment les choses se passent.
"Oh là là, il aime trop les livres cet enfant. C'est pas possible madame, il faut faire quelque chose. Dès qu'on le laisse faire, il va à notre petite bibliothèque et se met à tourner les pages. Il aime trop les livres.
-Mais Madame" répond la mère "c'est pour ça que je l'envoie à l'école : pour qu'il apprenne à aimer les livres. Autrement, de mon point de vue, il peut aussi bien retourner au pays, garder les vaches."

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