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  • : Au collège
  • : Je suis professeur d'histoire-géographie au collège Félix-Djerzinski de Staincy-en-France. Ce métier me rend malade et il fait ma fierté. Avant d'en changer, je dépose ici un modeste témoignage.
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29 janvier 2008 2 29 /01 /janvier /2008 17:31

Catherine et moi allons au Louvre avec notre classe de cinquième, voir la peinture française du Moyen-Âge. Seuls douze élèves se présentent, sur vingt-deux. Quatre sont en classe de neige ; il est possible qu'un ou deux autres soient malades ; mais je pense que la plupart sèchent délibérément pour ne pas avoir à se lever une heure plus tôt que d'habitude. Ma collègue et moi-même, nous nous réjouissons sans le dire de cette fonte des effectifs : la plupart des boulets sont restés chez eux, tout devrait bien se passer.

En sortant du métro.
-Monsieur, c'est le Louvre ici ?
-Pas vraiment, Rafiq. C'est le Carrousel. Ce sont des magasins qui se sont installés ici pour profiter du passage des touristes.
-Ah ouais, c'est un genre de galerie commerciale.
-Si tu veux. Une galerie commerciale de luxe, tout de même (nous passons entre la boutique Swarowski et la parfumerie Prout-prout-ma-chère).
-Genre si on crache par terre on a une amende ?
-Ne crache pas par terre.

Au vestiaire.

-Ya ton étiquette qui dépasse, ma cocotte.

-Monsieur, j'arrive pas à enlever mon manteau, ma manche elle coince.

-Mais forcément, si tu t'y prends comme ça ! Allez, tire. Voilà, ça y est.

-Eh msieu, on peut aller aux toilettes ?

-Mais tu pouvais pas y penser tout à l'heure, non ? Maintenant c'est trop tard. -Vous dites bonjour à la dame ?

-Bonjour madaaaaaame !

Ce sont des enfants. Parfois j'ai l'impression que ce sont un peu les miens.

J'observe devant notre groupe le chapeau de feutre mauve d'une dame un peu hautaine, une mère d'élève venue accompagner les petits chéris d'une bonne école primaire. Tout autour de nous, des dizaines d'enfants, de sept à seize ans. Brouhaha, mouvement de foule. Chaque fois que je viens ici, je me demande s'il faut se réjouir ou se lamenter de cette invasion du musée par les scolaires. De neuf heures à onze heures et demie, le département des Antiquités égyptiennes devient par exemple une gigantesque cour de récréation, où il est impossible de se faire entendre sans hurler. Et aujourd'hui encore, nous ne pourrons pas voir le portrait de Jean le Bon, qui était pourtant l'un des objectifs de notre visite : une trentaine de très jeunes enfants accroupis pépie sous le profil goguenard du roi pendant que leur maîtresse discute avec la conférencière.
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Devant la Crucifixion du Parlement de Paris, du Maître de Dreux Budé. La conférencière explique que le peintre, pour faire plaisir à son commanditaire, a représenté à l'arrière-plan différents bâtiments parisiens dont le Louvre.

Vera se tourne vers moi, l'air inquiète et perplexe.

"Mais msieu, j'y comprends rien. J'croyais qu'on était dedans ?"

Plus tard, on attire leur attention sur un détail pittoresque, un petit bichon qui se tient aux pieds de saint Denis décapité.

Rafiq : "Y avait des chiens au Moyen-Âge ?"

Il y a décidément trop de bruit et nous décidons d'aller plutôt voir les objets d'art. On s'arrête devant un reliquaire du lait de la Vierge.

"Quelqu'un sait ce qu'est un reliquaire ?

-Ouais, c'est quelqu'un qui vous change votre apparence, vos cheveux, vos habits... elle vous relooke, quoi !"

 

Pourtant, Catherine et moi sommes surpris, fiers et presque émus : ils savent des choses. Ils connaissent la vie de Jésus dans ses grandes lignes et le rôle de l'Église au Moyen-Âge. Ils savent ce que c'est qu'un sceptre, un pèlerinage, le patrimoine ; ils peuvent expliquer ce que veut dire "Golgotha". Ils ont compris la façon dont les peintres du XVe siècle donnaient de la profondeur à leurs tableaux. Tous écoutent, la plupart prennent des kilomètres de notes, la majorité sont sincèrement intéressés ; quelques-uns regardent les oeuvres -y compris celles qu'on ne leur montre pas. On n'a pas sué pour rien.

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25 janvier 2008 5 25 /01 /janvier /2008 23:24

Mon fils n'a que quatre ans, mais il est meilleur historien que moi.

Louis. -Papa, on joue aux Indiens ?
Moi. -Tu veux dire les Indiens qui vivaient à l'époque des cow-boys ?
Louis, d'un ton un peu irrité. -Non. Ils vivaient à l'époque des Indiens. Ils vivaient à leur époque.

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24 janvier 2008 4 24 /01 /janvier /2008 22:39
Fadela.jpgVoici les faits, tels que je les ai compris.

L'un des professeurs du collège, Tariq Touami, a fait la connaissance de Fadela Amara à l'époque où elle n'était que la présidente de Ni putes ni soumises. Ils ont sympathisé et elle lui a donné son numéro de portable. Vint l'élection présidentielle et l'adoubement ministériel de la militante par messire Sarkozy.
Tariq, après lui avoir laissé le temps de s'installer (et d'avaler ses premières couleuvres) a passé un coup de fil à Fadela Amara. Il lui a dit qu'il travaillait dans un collège de ZEP qui marchait plutôt bien. Et il lui a proposé de venir nous rendre visite, dans le cadre du lancement de son "plan Banlieues". Intéressée, elle a accepté. L'idée des deux interlocuteurs, je crois, était une sorte de donnant-donnant : viens et fais ta pub ; nous nous chargerons de faire la nôtre (ce qui, après la suppression de la carte scolaire, n'est pas forcément inutile). La visite d'un membre du gouvernement devait aussi manifester une forme de reconnaissance de l'État envers notre réussite relative et tous ceux qui l'ont construite.

Mais évidemment, le déplacement de la secrétaire d'État ne pouvait pas se dérouler en toute intimité -ça n'aurait d'ailleurs eu que peu d'intérêt, pour elle comme pour nous. La maire (communiste) de Staincy, le recteur ont dit qu'ils voulaient en être. Le principal a pris en main l'organisation concrète de l'évènement, et a décidé de le placer un vendredi après-midi  -un créneau où le collège presque vide n'accueille que quelques options prestigieuses : grec, chorale de la classe à horaires aménagés musique, entraînements de la classe à horaires aménagés sport, jardinage et botanique. Il s'est employé, surtout, à maintenir le secret le plus opaque autour de la chose.

A J - 1, pourtant, la nouvelle a fini par s'ébruiter, et une réunion des enseignants a immédiatement été organisée par nos collègues syndiqués. On y a dit, bien entendu, qu'il était aberrant que cette visite ait lieu en l'absence de la quasi-totalité des professeurs ; qu'on refusait catégoriquement de servir de caution à la politique du gouvernement, surtout à six jours d'une grève dont l'objet était justement de dénoncer celle-ci ; enfin qu'il était indécent de vanter notre "réussite" alors que nous manquons de personnel, que les malades ne sont pas remplacés, que les classes de langue comptent parfois jusqu'à 30 élèves, et que des établissements voisins pataugent dans des difficultés dont ils ne sont pas responsables. On a essayé de définir les modalités d'une protestation symbolique. On ferait des banderoles et des tracts ; les membres du SNES passeraient quelques coups de téléphone pour mobiliser leurs camarades des alentours. Quelqu'un a suggéré en ricanant que la chorale interprète un chant révolutionnaire.
Tariq Touami a défendu son idée avec courage, mais très maladroitement : pour se disculper de toute arrière-pensée politique, il a dit notamment que s'il avait pu faire venir Jamel Debbouze il l'aurait fait. Par ailleurs, il était seul contre une salle des profs quasi-unanime et très remontée.

La visite de Fadela Amara a été annulée dans l'après-midi.

Je rapporte ce non-évènement parce qu'il me paraît illustrer la coexistence difficile de deux mentalités au sein de l'Éducation nationale. Si j'ai bien compris sa logique, Tariq distingue notre collège comme une entité particulière et relativement autonome ; il souhaiterait mettre en avant nos réussites, qu'il attribue à notre travail et à des choix pédagogiques pertinents ; pour améliorer notre sort il est prêt à passer des compromis avec notre hiérarchie -jusqu'au niveau ministériel. Beaucoup d'autres collègues pensent au contraire que nous sommes d'abord une composante d'un grand corps nécessairement solidaire, l'Éducation nationale ; ils sont surtout sensibles à ce qui nous manque, à ce qui nous est refusé, à ce qui nous a été repris ; la bureaucratie qui nous surplombe, du principal au ministre en passant par le recteur, ne leur inspire que de la méfiance.

Aujourd'hui, 19 enseignants ont fait grève à Félix-Djerzinski.
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21 janvier 2008 1 21 /01 /janvier /2008 23:02
Je déjeune avec mon amie Francesca dans une crêperie du cinquième arrondissement. Elle n'a passé qu'un an à Djerzinski : elle a demandé sa mutation à Paris et, coup de bol, elle l'a obtenue du premier coup. Mais elle a bien entendu été nommée dans un collège du nord de la ville, qui est encore pire que le nôtre pour ce qui est du niveau des élèves et des problèmes de discipline -qu'on ferait mieux d'appeler carrément, dans ce cas, des problèmes de sécurité. La compagnie quotidienne de Francesca me manque : c'est une femme intelligente, simple et chaleureuse, et c'est en plus une excellente prof de maths. En attendant la spéciale reblochon-hareng-gingembre, nous discutons évidemment du métier. Je lui donne quelques nouvelles de son ancien bahut et elle me parle du sien.

A priori, toutes les conditions sont réunies pour faire de son collège un véritable enfer. La principale regrette de ne pas avoir opté plutôt pour une carrière d'assistante sociale ; sa puissante empathie pour les élèves l'empêche absolument de les punir. Les CPE et la plupart de ceux qui sont chargés de maintenir un certain ordre dans l'établissement partagent cette tendance compréhensive et, du coup, il faut pratiquement tuer un camarade pour écoper d'une heure de colle. Francesca m'a raconté qu'un de ses élèves à taggué son nom, en lettres d'un mètre de haut, sur le mur d'une des salles de classe ; il a été convoqué dans le bureau de la principale -mais là, il a eu l'excellente idée de verser quelque larmes en évoquant la difficulté de son existence. Du coup, il n'a pas eu la plus petite punition. On ne lui a pas même demandé d'effacer son oeuvre (sans doute pour ne pas réprimer ses aspirations artistiques). Excellent signal envoyé à tous les autres.

Francesca a noté, par ailleurs, une proportion étonnante d'élèves psychologiquement instables dans son collège ; au sein de chaque classe, il y en a un ou deux qui ont des moments de folie ou un comportement habituellement anormal. Comme je lui demandais à quoi cette épidémie était due, Francesca m'a répondu qu'elle n'était pas psychologue, mais qu'elle avait fait quelques observations.
À Djerzinski, les élèves sont originaires d'à peu près tous les coins du monde et une certaine mixité sociale subsiste encore ; dans son nouveau bahut, l'homogénéité est beaucoup plus forte -80 % des parents d'élèves viennent d'Afrique noire et sont pauvres. Dans le quartier qui entoure le collège, on vit encore comme au Mali, au Niger ou au Tchad. Beaucoup de familles sont polygames, le père y est tout-puissant, les co-épouses se détestent cordialement, et il faut trouver sa place dans des fratries de quinze ou vingt. Le sort des filles n'est pas particulièrement enviable. On s'entasse dans des appartements bien trop petits, en incriminant l'insuffisance de l'aide sociale plutôt qu'une fécondité absurde. L'État français est principalement perçu comme un chasseur d'immigrés raciste et brutal ; le pays d'origine, ses coutumes, son style de vie et ses pratiques religieuses ou coutumières, sont en revanche exaltés à proportion des humiliations subies dans le pays d'accueil.
Pourtant les enfants sont nés en France, et n'ont pour la plupart pas d'autre nationalité que la française ; ils regardent TF1 et France 2, s'imprègnent malgré tout du discours porté par l'école publique, s'ennuient copieusement lors des vacances passées au bled. A l'adolescence, cet écartèlement entre deux cultures, entre deux aspects peu conciliables de leur identité devient insupportable pour les esprits les plus fragiles.

Francesca m'a dit, cependant, qu'elle prenait beaucoup de plaisir dans son travail et qu'elle obtenait des résultats dépassant toute espérance. Une action pédagogique originale a en effet été initiée par un de ses collègues. Ce dernier s'est creusé la tête pour essayer d'utiliser au mieux les moyens mis à disposition dans le cadre du dispositif Ambition Réussite, et notamment des assistants pédagogiques (des étudiants recalés au CAPES qui financent leur deuxième tentative et acquièrent un peu d'expérience en travaillant au sein des collèges).
La méthode retenue est la suivante. En début d'année, un test a permis de classer les élèves en trois catégories (trois étoiles pour les forts, deux étoiles pour les moyens, une étoile pour les très faibles, ceux qui ne connaissent pas leur table de multiplication et ont du mal avec les additions). Les meilleurs sont regroupés trois heures par semaine et font de l'approfondissement -sans doute avec Francesca, qui est tout de même docteur en mathématiques. Ce groupe est essentiellement composé d'élèves d'origine chinoise ou indienne. Durant ce créneau de trois heures, le reste de la classe est dédoublé : l'enseignant prend en charge les moyens, tandis qu'un assistant pédagogique fait du soutien et du rattrapage avec les plus faibles, à partir d'une préparation élaborée par le professeur. Cependant on ne peut pas parler de classes de niveaux, puisque les trois groupes sont régulièrement réunis pour des cours communs.

Ce dispositif expérimental n'a pour l'instant été mis en place qu'avec les élèves de sixième. Ses bénéfices apparaissent déjà spectaculaires. Chacun, quel que soit son niveau de départ, trouve dans les cours de mathématiques quelque chose d'accessible, et comprend beaucoup mieux le sens de sa présence à l'école, puisqu'il parvient à suivre ; les problèmes de discipline sont dès lors sensiblement réduits, et la plupart des élèves se mettent à travailler. Une dynamique positive apparaît dans chacun des trois groupes : même chez les faibles, une tête de classe se constitue, qui tire les autres vers le haut et se fixe l'objectif de passer au niveau supérieur. Le fait de bien travailler, de faire ses devoirs n'est plus perçu comme une bouffonnerie mais comme un jeu qui en vaut la chandelle. En effet les élèves les plus en retard bénéficient également d'évaluations adaptées et peuvent, s'ils ont fait des efforts, décrocher des 15 et des 17/20 -ce qui serait inconcevable dans un système classique. On imagine la satisfaction des parents quand ils voient le bulletin de notes (et leur surprise quand leurs gamins affirment tout de go que, maintenant, ils aiment les maths). Les petits cracks, quant à eux, sont ravis de pouvoir résoudre des équations compliquées ou étudier des combinaisons d'échecs plutôt que de réécouter pour la n-ième fois l'explication d'un théorème qu'ils ont parfaitement compris du premier coup. Enfin les enseignants constatent lors des évaluations que le niveau de leurs troupes monte à vue d'oeil, ce qui est évidemment très gratifiant.

Ce système, qui combine idéalement enseignement de masse et différenciation pédagogique, requiert deux ingrédients. Le premier est le supplément de moyens qu'apporte le classement de l'établissement en Ambition Réussite : sans assistants pédagogiques, il serait impossible de travailler ainsi. Le second est un groupe de professeurs soudés, motivés et bosseurs. Il faut préparer trois cours pour une seule classe, trois types d'évaluation, et rencontrer régulièrement les collègues pour déterminer au jour près la progression du cours. C'est un énorme surcroît de travail, ne donnant lieu à aucun supplément de rémunération (et pourtant, ici, il ne faudrait même pas parler de mérite, mais simplement de gratification pour un effort pédagogique exceptionnel, à l'efficacité vérifiable).

Heureusement, l'expérience montre que les meilleurs professeurs sont souvent les plus désintéressés.
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17 janvier 2008 4 17 /01 /janvier /2008 19:14
Classe de sixième. Leçon sur les cours d'eau.

Luca.  -Mais msieu, pourquoi la Garonne elle se jette pas plutôt dans la Méditerranée ?
Moi, pris de court. -C'est son choix.
Une voix. -Elle est conne.
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15 janvier 2008 2 15 /01 /janvier /2008 22:57
Noeud-de-pendu.jpgEvaluation générale des élèves du collège. Je viens de me taper un paquet de 70 (soixante-dix) copies de cinquième dont voici quelques morceaux choisis.



Ensemble de trois documents sur l'Afrique (continent étudié au premier trimestre au cours d'une leçon qui, selon les instructions officielles, doit durer six à sept heures).

En quelques phrases, rappelle quels sont les atouts du continent africain et quelles sont les contraintes supportées par la population.
Elève A : "Les atouts du continent africain sont beocoup de fruit et legume.
Les contraintes sont : fatigue - famine : il fait tros chaud."

Elève B : "Les Atouts de l'Afrique c'est qu'il y a des oasis qui leur permet d'avoir de l'eau."  

Elève C : "les atout de continent sont qu'il y a beacoup de vegeta et quil fait chaud.
Et la contraite ce quil y a la geurre"

Elève D : "L'Afrique il y a des maisons cassés, il y a des personnes qui mettent des habits usées, ils y a en a beaucoup qu'ils sont pauvres. Il y a des guerre."

Quels sont les deux grands types de richesses souterraines qui se trouvent en Afrique ?
Elève E : Les deux grands types de richesses souterraine qui se trouvent en Afrique sont le gaz et le pétrole, les piere précieuse, l'or, le café, le chocolat, le tabac le plutonium et l'uranium.  


Texte relatant l'histoire d'une handicapée, borgne puis aveugle et paralysée d'une jambe, qui s'est lancée dans une carrière d'écrivain public grâce à son ordinateur à reconnaissance vocale (leçon d'éducation civique sur "la lutte contre les discriminations").

Quels sont les deux handicaps dont souffre Bernadette Pilloy ?
Elève F : Elle est aveugle et écrivain public, elle est donc endicapés et elle aurra du mal à écrire.

Elève G : Les deux handicaps de Bernadette Pilloy c'est qu'elle est borgne et un chien-guide.

Elève H : C'est les 2 enfant de Bernadette Pilloy.

Elève I : La première personne et Noël borgne et la 2eme et elle.

Elève J : Les deux handicaps dont souffrent Bernadette Pilloy est = qu'elle est aveugle et qu'elle ne voit que d'un seul oeil. 


Je précise que je ne retranscris ici que des réponses dont la qualité grammaticale, orthographique et calligraphique me permet de saisir le sens général.
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11 janvier 2008 5 11 /01 /janvier /2008 14:41

 

Xavier Leune me fait l'honneur de me consacrer une interview sur le site de la Fondation Jérôme Antoine Leune

Allez-y donc voir. Et laché pl1 de coms lol


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10 janvier 2008 4 10 /01 /janvier /2008 22:42
J'ai toujours été très sensible au charme des ruines.  Mais je n'ai malheureusement pas les facilités d'un Hubert Robert ou d'un Piranèse. Je dois me contenter de ce que je trouve. Gamin déjà, j'allais traîner des après-midi entières avec mon ami Jean-François dans l'hôpital abandonné qui occupait des hectares au centre même de notre petite ville ; il offrait un cadre fantastique à nos imaginations romanesques et morbides qui prenaient feu dès que nous en franchissions le seuil. 

J'ai eu un choc quand je suis arrivé au CDDP du Bourget, où devaient se dérouler les trois journées de mon stage. La bibliothèque et les salles de conférence se sont blotties dans une aile d'un vaste bâtiment dont tout le reste est demeuré à l'abandon depuis des années. C'était, apparemment, un collège ou un lycée, transformé sur le tard en IUFM ; aujourd'hui, il ne reste pratiquement plus que les murs et des débris. J'ai consacré mes pauses déjeuner à explorer l'endroit. Saisissement. On se croirait dans une version banlieusarde de Je suis une légende, après la disparition de l'humanité. On a envie d'en faire une métaphore, sans trop oser dire de quoi.

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4 janvier 2008 5 04 /01 /janvier /2008 23:15

Je m'apprête sous vos yeux ébahis à pratiquer simultanément, hop-là, deux choses haïssables : le radotage et l'auto-citation (et en plus, au moment où j'écris ces lignes, ma braguette est largement ouverte). J'ai lu sur l'excellent Libéblog S'il n'y avait que les élèves un article qui a immédiatement déclenché en moi un réflexe pavlovien. Il y était question de mérite, et l'auteur -ainsi que la plupart de ses commentateurs- exprimait son scepticisme vis-à-vis de cette vieille lune républicaine. Je suis farouchement attaché en ce qui me concerne à cette valeur, même si je veux bien admettre que le président Sarkozy fait tout ce qui est en son pouvoir pour la dénaturer. Voici donc, afin que vous jugiez sur pièce, le texte original et la réponse que je lui ai faite. Bonne lecture.

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L'angoisse du mérite

Ça flippe chez les ministres.

Le Premier d’entre eux aurait fait appel à un cabinet de consultants pour élaborer un outil d’évaluation de leur travail.
Un bulletin trimestriel, en somme.
Dans le monde formidable de l’Education nationale, un tel changement –même si son but réel est sans doute de fournir un prétexte «objectif» pour virer Boutin et confrères— s’appellerait la rémunération au mérite.
Dans la réalité, ça existe déjà un peu avec le système un tantinet rouillé du changement d’échelons au grand choix, au petit choix ou à l’ancienneté en fonction de la notation administrative, des inspections épisodiques et de l’âge du capitaine.
Mais rien n’y fait : c’est un vieux serpent de mer qui ressort chaque fois qu’on veut dire du mal de la fonction publique en général et des profs en particulier.

Ah ! Le mérite…
Après tout, la reconnaissance du mérite est un vieux principe républicain. Sur le principe, donc, comment être contre ?
Sur la mise en œuvre, c’est plus compliqué : comment évaluer le mérite d’un prof ?
La sagesse populaire répondrait sans doute que les résultats obtenus par les élèves seraient le meilleur critère.

 

Je connais un prof tellement angoissé par cette question du mérite qu’il est devenu un précurseur.
Peut-être conscient que ses cours ne suffiraient pas à faire réussir les élèves de sa classe à un brevet blanc, il leur a donné le sujet à l’avance. 
Même si le niveau baisse, qu’ils ne savent plus écrire à cause de msn et des textos et qu’ils regardent Prison Break au lieu d’aller dans les musées, eh bien, ce sont les élèves eux-mêmes qui se sont inquiétés de la pratique avant-gardiste de leur professeur. 
La fraude a été découverte peu avant qu’ils ne commencent à composer. On (comprendre les profs intègres qui n’ont pas triché) a donc exhumé d’urgence un vieux sujet de remplacement.
Les bonnes âmes bêlantes comme moi se sont indignées de la rupture d’égalité entre les élèves, ont crié à la faute professionnelle, ont demandé des sanctions.
Mais bon, on est en «Ambition Réussite», pas à Henri-IV, les parents d’élèves n’écriront pas des lettres scandalisées à l’Inspection, le prof angoissé du mérite continuera, sans remaniement, sa brillante carrière en ZEP et ira se plaindre à l’Inspecteur d’académie que ses élèves ont eu des mauvaises notes à cause de ses collègues manipulateurs qui ont changé le sujet au dernier moment.

Comme quoi, l’enfer est pavé de bonnes intentions : l’angoisse du mérite pousse les moins méritants à tricher.
 
L’angoisse du mérite, je suis impatient de voir ce que ça va donner au gouvernement. Clearsteam, à côté, c’est de la roupie de sansonnet…
 

Guillaume


Ma réponse

Bonjour et merci pour votre blog.

Je vais laisser de côté la question de l'évaluation des ministres pour me concentrer sur l'autre question que vous abordez, implicitement et un peu par la bande, c'est à dire celle du mérite dans l'éducation nationale. Etant moi-même prof d'histoire-géo dans un collège de Seine-Saint-Denis, j'y ai beaucoup réfléchi. Je dois dire que je suis assez déçu quand je vois que vous et certains de vos lecteurs rejetez la notion même de mérite en dehors du champ scolaire -avec ce double argument que le mérite est impossible à évaluer correctement et que l'appréciation du mérite par voie hiérarchique est la porte ouverte à tous les arbitraires.

Le mérite, moi, j'y crois puissamment. J'y crois parce que, tout simplement, je l'ai vu à l'oeuvre, aussi bien chez les enseignants que chez les élèves. Et je dois dire que j'ai vu aussi de façon tout à fait concrète ce qu'est l'absence de mérite.
Dans mon établissement, j'ai vu des professeurs renouveler et améliorer leurs préparations chaque année, initier continuellement de nouveaux projets, se former aux nouvelles méthodes pédagogiques, consacrer cinq heures par semaine à des entretiens personnalisés avec les élèves et leurs parents, venir en classe avec une grippe ou un bras cassé parce qu'ils ne voulaient pas se mettre en retard dans le programme, ou calculer la date de leur accouchement pour que celui-ci tombe pendant les vacances d'été (vous êtes libre de ne pas croire cette dernière anecdote, mais j'en garantis la véracité).
Et j'ai vu d'autres enseignants resservir inlassablement des cours que chaque année rendait plus désuets, consacrer l'essentiel de leur énergie professionnelle à mettre des bâtons dans les roues de leur hiérarchie, manquer sans état d'âme deux mois de cours par an pour des raisons obscures, et cracher dans la soupe à jet continu par dessus le marché.
Il va de soi que chacun de ces deux groupes est minoritaire dans la foule immense des fonctionnaires de l'EN, et que la majorité des enseignants est composée d'individus moyens, qui ne sont ni des héros ni des tire-au-flanc, mais des employés consciencieux à qui il arrive d'avoir des petits coups de mou. Cependant, je suis convaincu qu'il existe au moins un représentant de chacune des deux espèces au sein de chaque établissement scolaire français ; et ces individus, même peu nombreux, ont en général beaucoup d'influence en salle des profs ; leur charisme peut mobiliser une équipe pédagogique importante et enclencher une dynamique de travail qui profite in fine à tout le monde, ou au contraire foutre un bordel monstre qui justifiera a posteriori que l'on ait craché dans la soupe.

A l'heure actuelle, les bons et les mauvais sont payés exactement de la même façon. On pourrait même dire que les mauvais sont nettement mieux payés que les bons, puisqu'ils touchent un traitement équivalent pour un travail qualitativement inférieur et quantitativement moindre. Et je pourrais ajouter, pour faire polémique, que les mauvais ont souvent des connexions syndicales, quand ils ne sont pas militants eux-mêmes, ce qui leur permet de faire valoir au mieux leurs intérêts et leurs droits privés.
Dans mon collège, le principal s'est fait taper sur les droits par sa hiérarchie parce qu'il avait eu l'outrecuidance d'attribuer des notes administratives différenciées à ses enseignants ! Ceux qui avaient été sanctionnés se sont plaints, évidemment, qu'ils avaient été victimes de vengeances personnelles ou politiques, mais mon opinion de spectateur neutre est que c'est, dans l'immense majorité des cas, leur faible motivation qui avaient été sanctionnée. Alors, je pose la question : cet égalitarisme de façade, qui ne profite qu'aux nuls et aux défaillants, est-il normal ? Doit-il se perpétuer ?

Bien sûr, de minuscules fenêtres entr'ouvertes permettent de récompenser les meilleurs profs ; ainsi de la promotion au grand choix. Mais outre que ce genre de gratification est rare, bien plus rare que le nombre de fonctionnaires qui la mériteraient de fait, il est quasi-impossible de l'obtenir sans un solide appui syndical au sein des commissions. Et je ferai aussi remarquer que, s'il existe des possibilités de récompenser, il n'en existe pratiquement aucune de punir. Or, certains de nos collègues auraient de toute évidence besoin d'un électro-choc qui leur rappelle quelles sont les exigences de ce métier et qui les amène à réfléchir s'ils souhaitent vraiment continuer à l'exercer.

Autre point, le mérite des élèves. Je sais tout ce que les sociologues bourdieusiens ont pu dire et écrire contre cette notion, mais encore une fois, il faut en revenir à notre vécu et à nos observations, qui se déroulent tout de même sur une toute autre échelle que le terrain de l'enquêteur occasionnel : des élèves authentiquement méritants, dans les classes de ZEP, il y en a plein !
Et ce qui est terrible, c'est que nous ne pouvons absolument pas leur donner l'éducation de bon niveau à laquelle ils ont droit, parce que le système même des ZEP et plus généralement de l'enseignement de masse a été conçu pour les vilains petits canards. Quel prof de Seine-Saint-Denis ou du nord de Paris n'a pas fait, cinq fois par journée de travail, ce constat désespérant que 95 % de son énergie est absorbée par des tâches purement répressives ou du b-a-ba ! Et pendant ce temps les bons élèves, les conformistes, ceux qui ont joué le jeu de l'institution scolaire depuis leur entrée en petite section de maternelle et qui ont gentiment fait leurs devoirs et appris leurs leçons, eh bien ceux-là s'ennuient.
Aussi, je suis extrêmement favorable à tous les dispositifs qui permettent de promouvoir, de distinguer et de récompenser ces bons éléments. Chez nous, on a ouvert le maximum d'options possibles, y compris latin, grec, histoire de l'art, musique-études, on placarde un tableau d'honneur sur tous les murs lors de la visite des parents, on offre de petits cadeaux aux meilleurs lors de la fête de départ en vacances, et on va bientôt proposer les dossiers de quelques élèves exceptionnels au parrainage de la Fondation de France. Mais il s'agit là d'une rareté, d'une singularité qui fait d'ailleurs grincer les dents de certains de mes collègues. Pourquoi les cancres devraient-ils accaparer toute l'attention ? Je sais que c'est dans l'air du temps, mais il devrait y avoir des limites à la pennacquerie.

Ce même air du temps nous a habitués à admettre que le mérite n'existe pas vraiment, que ceux qui réussissent à l'école bénéficient de l'aide familiale, qu'un mauvais élève est d'abord et avant tout un jeune en souffrance, etc. Je le croyais il y a trois ans, quand j'ai été affecté en ZEP ; j'étais alors toute condescendance et toute compassion.
Depuis, j'ai vu des enfants dont les parents ne parlent pas un traître mot de français décrocher des 17/20 de moyenne générale et à l'inverse, d'honorables rejetons de la classe moyenne incapables d'orthographier leur prénom sans erreur ; j'ai vu deux frères décrocher pour l'un des félicitations méritées et pour l'autre un conseil de discipline ; j'ai connu des parents qui élevaient de façon exemplaire leurs cinq enfants dans un petit deux-pièces et des enfants uniques élevés, je ne dirai pas dans la soie, mais au moins dans le coton, que l'on avait envie de flanquer à la poubelle. Les déterminations sociales sont bien lourdes, c'est vrai ; mais le caractère individuel est une autre réalité. Et je pense tout simplement que quand ce caractère est bon, quand il a travaillé à nourrir une jeune intelligence, il faut l'encourager de toutes ses forces.
On dira que cela va de soi ; l'expérience montre que ce n'est hélas pas toujours le cas. 
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2 janvier 2008 3 02 /01 /janvier /2008 12:05
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En classant des notes, je viens de retrouver ce compte-rendu d'une journée de naguère. Pour clarifier le début du texte, je précise que l'IDD est un itinéraire de découverte, c'est à dire (pour faire simple) une matière optionnelle proposée par un professeur en fonction de ses compétences, de ses centres d'intérêts et de l'attente supposée des élèves et de leurs parents. Dans le cas qui nous intéresse, il s'agissait de cours d'histoire de l'art dispensés à raison d'une heure par semaine par un professeur d'arts plastiques et un professeur d'histoire enseignant ensemble.
A mon arrivée au collège, j'ai été commis d'office dans ce dispositif, malgré le profond scepticisme qu'il m'inspirait. Mes réserves ont vite disparu et j'ai beaucoup aimé ce cours. Catherine, la prof d'arts plastiques, est une de mes collègues préférées, et le fait d'être ensemble dans la salle de classe nous permettait de faire un bien meilleur travail. L'aspect élitiste de cet enseignement attirait des élèves motivés et curieux ; et il y avait quelque chose de beau dans le fait de parler de perspective atmosphérique et de palette baroque à des élèves de ZEP, à les emmener au Louvre voir Poussin, Rubens et David.
Au final, le résultat de nos efforts était bien incertain ; il ne fait aucun doute que certains de nos élèves n'ont rien appris, que les tableaux et les sculptures que nous leur avons montrés pendant un an leur ont juste paru, un peu bizarres ; mais j'ai été fier et ému quand j'ai vu, au musée, un groupe d'élèves habituellement ingérables s'arrêter devant une scène mythologique et en parler entre elles à voix basse.
Malheureusement, l'IDD a fini par disparaître (du moins au niveau quatrième). Elle n'avait pu exister qu'en grappillant du temps aux enseignements fondamentaux, et il a fallu rendre ces heures précieuses. Par ailleurs, la bonne réputation des classes qui avaient choisi cette option a fini par avoir un effet pervers : la direction y plaçait en effet d'autorité les cancres les plus récalcitrants, en faisant le pari que, coincés au milieu de camarades calmes et studieux, ils finiraient par s'imprégner de cette ambiance. Le pari se soldait bien évidemment à tous les coups par un échec total et transformait par-dessus le marché notre petit groupe d'élèves dynamiques et polis en un ensemble à
l'hétérogénéité absurde, où il fallait enseigner à la fois à des prix d'excellence et à des ânes bâtés qui, en plus, brayaient fort.
Et par un glissement bureaucratique dont je n'ai pas compris le mécanisme précis, nous avons fini par nous retrouver devant une classe qui était presque entièrement constituée de cancres (alors qu'à l'inverse, ceux qui s'étaient portés volontaires pour suivre ce cours en étaient complètement évincés). Aussi n'avons-nous pas trop protesté quand on nous a annoncé que l'IDD allait disparaître ; nous avons plutôt poussé un soupir où il y avait autant de soulagement que de résignation. C'est vraiment dommage car Catherine avait investi un travail et une foi immenses dans ce projet. Éternel problème de la gestion des mauvais sujets, qui nous empêche de donner aux bons ce qu'ils méritent.
Bref ! Le rideau se lève sur la journée du 15 mai 2006.

 
Premier lundi travaillé depuis plus d'un mois.

8 heures. IDD dans la salle de Catherine. Les 4° I doivent préparer des exposés sur des tableaux célèbres ; des groupes ont été constitués pour les Ménines, la Leçon d'anatomie, le Tres de mayo, la Liberté guidant le peuple, la Laitière et les Ambassadeurs. La classe est pour l'heure scindée en deux. La moitié des élèves partent avec ma collègue faire des recherches au CDI, tandis que les autres restent avec moi et essaient de décrire les oeuvres -ce qui n'est pas une mince affaire vue la pauvreté de leur vocabulaire usuel.
Nour Ben Amar a mené une recherche personnelle, Djeneba et Tariq parviennent -contre toute attente- à travailler ensemble ; mais il me reste deux boulets, Mustafa et Eddy. Le premier se borne à une inaction absolue, assortie de quelques ricanements. Le second laisse déborder de toutes parts, comme d'une casserole réchauffée par le printemps, son immense fatuité et ses talents de saboteur. Son voisin Bilal, qui est son antithèse (un garçon sérieux, intelligent et terne) en arrive rapidement à un tel état d'exaspération que je vois arriver le moment où il frappera le petit con. Pour prévenir un pareil incident, je mets l'Eddy à la porte. Quelques secondes plus tard, je le vois par la fenêtre courir à grandes enjambées dans l'escalier extérieur. Il n'a pas son carnet de liaison, ni d'ailleurs aucune espèce de matériel ; il est d'ores et déjà collé jusqu'à la fin de l'année ; il va déménager l'an prochain et ne semble pas avoir compris que son dossier scolaire le suivra jusqu'à Tombouctou ; il est ballotté de tuteur en famille d'accueil, et on ne sait jamais trop à qui s'adresser pour discuter de son cas. Il est difficile de le punir, d'autant qu'il voit manifestement sa scolarité elle-même comme une punition insurpassable. En mon âme et conscience, je dois avouer que je souhaite qu'il aille un pas trop loin et se fasse battre un jour par des collègues exaspérés. Peut-être l'insolence désinvolte de ce garçon est-elle le comportement d'un adolescent à l'histoire familiale malheureuse. Mais il dissuade toute compassion, et je me réserve pour d'autres.

Nour spécule sur "le but du regard" dans le tableau de Delacroix, Djeneba et Tariq se chamaillent sur la description d'un quignon de pain posé sur la table de la Laitière ; l'ambiance est plutôt studieuse quand Bruno Dellacqua, prof de SVT, fait irruption parmi nous. Vendredi dernier, les élèves de 4° I ont eu cours dans sa classe ; certains se sont amusés à prélever les touches des claviers d'ordinateur pour s'en faire de petits projectiles ; mon collègue est venu exiger que le coupable se dénonce ou soit dénoncé. Naturellement, personne ne dit rien. Dellacqua ressort bredouille mais en proférant des menaces, et les travaux reprennent.
Mustafa m'interpelle : "Eh, monsieur, moi je sais qui c'est qu'a fait ça." Je l'encourage à parler. Il grommelle que ça se fait pas, mais, quelques heures plus tard, flanqué de deux camarades, il ira dénoncer Tasa Aït Ahmed.
(Ah, Tasa ! Gros poisson berbère nageant langoureusement vers l'obésité, molle et sotte. Nous nous croisons à la fin de la journée, je lui dis à haute voix "bonsoir, Tasa", elle croise mon regard, me frôle, et passe son chemin sans m'avoir rendu un mot. En tirant sur le bâton de sa sucette. Chère Tasa. Pas de papa que je connaisse ; une maman qui ne peut pas s'occuper de sa fille, pour des raisons qui ne m'ont jamais été expliquées ; et une tante désespérée qui essaie de l'éduquer un peu. Jusqu'à récemment, j'envoyais des courriels à cette madame Wafa Tilalli pour lui détailler les méfaits de sa nièce et lui donner la liste des devoirs. Maintenant, j'ai arrêté. Ce n'est pas la peine de se donner tant de mal pour un individu aussi méprisable. Si je connaissais personnellement Wafa Tilalli, je lui suggérerai de plutôt consacrer son temps libre à l'UNICEF.)

Delacroix---La-libert---guidant-le-peuple.jpg
9 heures. Je parle de la banlieue avec mes sixième. Je dis que les immeubles de HLM sont souvent occupés par des familles pauvres. Je choque un tiers de mes élèves, qui vivent dans des immeubles de HLM et ne se reconnaissent pas dans cet adjectif. Après négociations, je finis par recourir à "modeste", que j'ai prudemment défini par "pas riche", et qu'un élève a retraduit en "normal".

Goya---Tres-de-Mayo.jpg
10 heures. 4° F. Classe habituellement pénible. Quelques élèves craignent le verdict du dernier conseil de classe et font preuve d'un sérieux étonnant ; ils me regardent fixement tandis que je parle, comme s'ils espéraient que je leur dévoile, par une mimique particulièrement expressive, le sens d'une leçon que le langage ne suffit pas à expliquer. Certains font même mine de s'intéresser au cours, répondent aux questions que je pose. "Quelqu'un peut me dire ce qu'est une PME ? -C'est le truc avec les chevaux, là", dit Zaki, sans avoir demandé la parole.

Durant ce même cours, une dispute éclate entre David et Khady. Ils finissent par me prier d'arbitrer leur litige : "Msieur, les Comores, c'est en Afrique ou quoi ?" Oui, plutôt, enfin c'est un archipel au large de l'Afrique. "Tu vois !" se lancent mutuellement les deux polémistes, qui manifestement interprètent ma réponse dans des sens opposés. Et si nous en revenions au sujet du jour, à savoir les difficultés du Mezzogiorno italien ? suggéré-je modestement. Ne tenant aucun compte de mon rappel à l'ordre, la Sénégalaise Khady place la polémique sur un autre plan : "De toute façon, aux Comores, c'est tous des descendants d'esclaves, alors. -QUOI !" hurle le Mahorais David. Je parviens à ramener un semblant de calme en menaçant de les virer tous deux. A posteriori, je me rends compte qu'ils étaient pourtant, à leur manière, en train de faire de l'histoire-géographie.
Plus tard, j'apprendrai que leur controverse s'est terminée par un échange de coups. David a été exclu du collège pour quelques jours, au soulagement de tous ; Khady, malgré ses provocations verbales, a bénéficié de l'indulgence de l'administration, et promène dans tout le collège ses tresses fraîchement teintées de blond-or massif.

Holbein---Les-ambassadeurs.jpg
Cantine. C'est la "semaine européenne" et le menu est censé en tenir compte, mais je ne parviens pas du tout à deviner à quel pays peut bien se référer le contenu de mon assiette ; peut-être est-ce de l'eurofood, libre de toute affiliation nationale porteuse de chauvinisme et de haine de l'autre. Sujets des conversations de cantine, par ordre de fréquence :
1) anecdotes sur les élèves les plus difficiles, racontées en riant et en les imitant -on se défoule ;
2) programmes télévisés, et plus particulièrement séries américaines (Desperate housewives...) ;
3) vie personnelle (bébés pour les vieux schnocks dans mon genre, sortie du samedi soir pour les moins de trente ans) ;
4) pédagogie (les profs d'anglais constituant une sorte de secte où les méthodes accaparent 3/4 du temps de parole) ;
5) politique, actualité internationale, Sarkozy, etc, mais sans se prendre la tête outre mesure ;
6) divers (dont livres).

Comme je sors de la cantine, je suis abordé par le jardinier. Il sort de sa salopette un objet enveloppé dans un sac plastique vert. "C'est un livre sur le miel", explique-t-il. Je crois que je suis l'un des rares profs à discuter avec lui de temps à autre ; le dernier jour, il m'a raconté qu'il y avait des ruches dans les combles de la mairie de Saint-Denis, et que les abeilles faisaient du bon miel avec les fleurs de la banlieue nord. Il semble que j'aie alors feint l'intérêt de façon crédible, et voilà le résultat de ma gentillesse. Il existe un très grand nombre de miels, que l'on distingue en monofloraux et polyfloraux. Parmi les variétés rares, on peut citer les miels de luzerne, de sainfoin, de serpolet et de trèfle. Ces variétés à base de plantes fourragères sont appréciées des vaches au palais délicat. Bien.

Rembrandt---La-le--on-d-anatomie.jpg
Café. Catherine donne libre cours à sa vocation de bon samaritain en nous invitant à soutenir psychologiquement la pauvre Bethsabée. Prof d'espagnol, Bethsabée Moutechaud a tout contre elle : elle enseigne une langue étrangère à des élèves qui ont déjà beaucoup de difficultés avec le français ; 4 élèves sur 5 laisseront tomber cette encombrante LV2 dès qu'ils en auront l'occasion, et ne voient donc pas pourquoi ils s'y investiraient à présent. Nouvelle dans l'établissement et dans la profession, Bethsabée constituait dès le début une cible idéale pour les chahuteurs -d'autant qu'elle a hérité de méchantes classes. Ses rapports avec l'administration se sont rapidement dégradés pour cette raison même et elle a très tôt eu le sentiment de ne plus être soutenue dans ses conflits fréquents avec les élèves. Elle a, comme moi mais à un degré plus aigu, le sentiment que ses élèves continuent leurs activités diverses durant nos cours comme si nous n'étions pas là, ou presque. Un jour, on lui a jeté une boulette ; quelques semaines plus tard, un puni mécontent lui balançait un cahier en pleine figure.
Peu avant les vacances de Pâques Bethsabée quittait le collège au beau milieu d'un cours ; à la rentrée, elle restait deux semaines absente. Elle est revenue apparemment rétablie et inchangée, elle donne très correctement le change ; elle est simplement un peu plus en retrait, et elle a annoncé qu'elle allait abandonner un métier que, pourtant, elle adore. -Quant aux élèves qui l'ont persécutée, on a appris par des bruits de couloir qu'ils se vantent d'avoir fait craquer "l'autre folle" et qu'ils se cherchent une nouvelle victime, histoire de terminer l'année en beauté.
Plusieurs collègues ont jeté l'éponge depuis septembre ; c'était des personnes avec qui je ne m'étais pas lié et qui, de toute façon, s'étaient fait peu d'amis au sein de l'établissement, parce qu'elles s'y sentaient malheureuses. On ne les a pas vues partir. On a juste constaté, un jour, l'arrivée de leur remplaçant. Ce jeu de substitution continuel pourrait servir de base à un bon récit de science-fiction.

M. Behrami, prof de maths avec qui j'ai deux classes en commun, me tient la jambe : et untel a fait ceci, et unetelle a fait cela. A la question "comment appelle-t-on le grand côté d'un triangle rectangle ?", David (de 4° F, voir ci-dessus) a répondu "l'anus." En 6° G, Djeison a traité Ammouche de M. Devine -mon nom de famille tenant apparemment lieu d'insulte.
M. Behrami, habituellement vêtu d'horribles loques, porte depuis la rentrée des vacances de Pâques une veste, une chemise framboise et un pantalon de toile. Mais ce sont les mêmes depuis deux semaines et un observateur attentif pourrait retracer la chronologie des traces de craie et des reliefs alimentaires de ce personnage brouillon. Ses dents sont pourries.

Velazquez---Les-M--nines.jpg
13 heures 30. La leçon sur la banlieue se poursuit avec ma classe de sixième. Nous nous trouvons au deuxième étage et les fenêtres de la salle 42 C offrent une vue ample et relativement dégagée sur la banlieue nord. J'invite les élèves à quitter leurs places pour observer avec moi les grands ensembles, les quartiers pavillonnaires, mais aussi les toits de l'Université Paris-VIII, la tour de la basilique de Saint-Denis, et dans la brume au loin, les pylônes du Stade de France (et tout là-bas là-bas en se tordant le cou et en faisant un petit effort d'imagination, le Sacré-Coeur, hideuse meringue demeurée fidèle plus d'un siècle après son édification à sa mission de narguer le peuple). Mon objectif psychopédagogique est de leur montrer que les banlieues ne sont pas uniquement des réserves de pauvres et ainsi, de me rattraper de la maladresse commise dans la matinée. Un exposé pourtant enthousiasmant doit bientôt s'interrompre : accoudés à la fenêtre, Cem, Djeison et Patrice font un concours de crachats sur le jardinier qui, deux étages plus bas, tond la pelouse.

Encore deux heures de cours, à 14 h 30 puis à 16 h 30, avec ma classe de cinquième (absurdité que cet emploi du temps où une heure de pause s'intercale au milieu d'une séquence de deux heures). Quatre élèves sont partis en voyage à Rome avec la prof de latin, Mme Bourmaud ; ceux qui sont restés n'ont manifestement plus la tête au travail, si tant est qu'il l'ait jamais eue.
Dans le couloir, je m'aperçois que Johnny Macas est d'humeur folâtre. Il est tout rouge, donne des bourrades à ses camarades, et répond "ouais ouais" quand je lui demande de se calmer. Johnny est un étrange garçon, que sa physionomie semble prédestiner à l'honorable carrière de boucher-charcutier. Mais sa vocation très précise est d'être dessinateur dans les services du Génie militaire. Il n'y a, à ma connaissance, pas de papa ; la maman est débordée ou démissionnaire ; c'est donc le papy qui s'occupe, pour l'essentiel, de l'éducation de Johnny. Or ce papy semble nourrir une passion dévorante pour l'histoire de la seconde guerre mondiale en général, et pour le troisième Reich en particulier. Bien entendu, le vieux facho a refilé le virus à son petit-fils -de façon plus générale, d'ailleurs, le grand-père semble avoir complètement façonné l'esprit de Johnny, qui parle avec une gouaille popu totalement absente du sabir banlieusard pratiqué par ses camarades et qui manie des références des années 70-80 (horrifié, je l'ai surpris un jour en train de chantonner l'Apérobic, des Charlots). Le garçon me fait parfois l'effet effrayant d'être une réincarnation, un reloading de son ancêtre.
Toute la culture personnelle du jeune Macas tourne donc autour du nazisme dont, à treize ans, il a une connaissance encyclopédique. Il n'écoute pas mes leçons mais dessine, et ne fait aucune difficulté pour montrer ses oeuvres : des armes, des décorations, des uniformes allemands. Une fois, en plein cours, il lui est arrivé de me défier ; sur certains sujets en effet, il était certain d'en connaître plus long que moi : savais-je, par exemple, ce qu'étaient les Schutzstaffel ? Durant les débats d'éducation civique, Johnny récite avec conviction, voire véhémence, les opinions d'un militant FN - ce qui détonne parfois un peu dans une classe où seize élèves sur vingt-trois sont "issus de l'immigration".
Mais le jeune extrémiste est aussi un adolescent remuant, au tempérament emporté. Certains élèves admettent mon autorité, d'autres la rejettent en bloc ou ne s'y soumettent que par crainte des sanctions ; Johnny, lui, alterne de façon schizophrénique des manifestations de soumission ostentatoire et des insolences violentes. -Ce 15 mai, donc, il entre dans la salle de classe, bouscule, insulte, vanne, fait tout un scandale parce qu'il lui manque une chaise, envoie des doigts d'honneur à droite et à gauche ; il ne s'aperçoit même plus que c'est moi qui lui crie d'aller s'asseoir et me répond carrément "Mes fesses". Je l'exclus de mon cours avant même de l'avoir commencé. Il sort sans un mot, soudain calmé, le regard sombre. Je ne sais pas à quoi il pense à cet instant. Peut-être au Troisième Reich.

Vermeer---La-laiti--re.jpg
A la fin de ce premier cours, Aïcha et Arzu veulent me parler en particulier. "Monsieur", dit Aïcha, "j'ai une cousine elle est tout comme Defne : mêmes résultats, mêmes problèmes, même tout. D'après vous, est-ce qu'elle va redoubler ?" Ah ah, j'avais bien remarqué que Defne faisait la gueule ces derniers temps. Defne est une jeune turque qui, à treize ans, ne comprend pas le français écrit. Elle a dû arriver trop tard dans notre pays ; chez elle, on ne parle que le turc (ou le kurde) ; par ailleurs, elle est franchement limitée. J'explique à Aïcha que je ne peux rien lui dire en ce qui concerne sa cousine, mais que pour ce qui est de Defne, je me prononcerai en faveur de son passage en quatrième : de toute évidence, elle n'en a pas le niveau, mais un redoublement ne servirait à rien. Autant faire place nette, hop. Aïcha repart perplexe.
A la fin du second cours, je retiens Defne. "Qu'est-ce qui se passe en ce moment, jeune fille ? D'habitude tu es toute gaie, tu passes ton temps à bavarder, et là tu tires une gueule pas possible. J'ai fait quelque chose qui t'a déplu ? Tu t'inquiètes pour ton avenir ?" Les yeux de Defne se remplissent instantanément de larmes. "Non, c'est à cause de mon grand-père. Il va mourir." Je me sens très bête. Je la libère en lui souhaitant bon courage.
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